Ce 4 mars 1731
Je vous suis très obligé, mon cher . . . . des vers latins & français que vous avez bien voulu m'envoyer.
Je ne sais point qui est l'auteur des latins, mais je le félicite, quel qu'il soit, sur le goût qu'il a, sur son harmonie, & sur le choix de sa bonne latinité, & surtout de l'espèce convenable à son sujet.
Rien n'est si commun que des vers latins, dans lesquels on mêle le style de Virgile avec celui de Térence, ou des épîtres d'Horace. Ici il paraît que l'auteur s'est toujours servi de ces expressions tendres & harmonieuses qu'on trouve dans les éclogues de Virgile, dans Tibulle, dans Properce, & même dans quelques endroits de Pétrone qui respirent la mollesse & la volupté. Je suis enchanté de ces vers:
Et en parlant de l'amour:
Je n'oublierai pas cet endroit où l'on parle des plaisirs qui fuient avec la jeunesse:
Je citerais trop de vers, si je marquais tous ceux dont j'ai goûté la force & l'énergie.
Mais quoique l'ouvrage soit rempli de feu & de noblesse, je conseillerais plutôt à un homme qui aurait du goût & du talent pour la littérature, de les employer à faire des vers français. C'est à ceux qui peuvent cultiver les belles lettres avec avantage à faire à notre langue l'honneur qu'elle mérite. Plus on a fait provision des richesses de l'antiquité, & plus on est dans l'obligation de les transporter en son pays. Ce n'est pas à ceux qui méprisent Virgile, mais à ceux qui le possèdent, d'écrire en français.
Venons maintenant, mon cher . . . . à votre traduction du printemps, ou plutôt à votre imitation libre de cet ouvrage. Vos expressions sont vives & brillantes, vos images bien frappées, & surtout je vois que vous êtes fidèle à l'harmonie sans laquelle il n'y a jamais de poésie.
Il faudrait vous rappeler ici trop de vers, si je voulais marquer tous ceux dont j'ai été frappé. Adieu, je vais dans un pays ou le printemps ne ressemble guère à la description que vous en faites l'un & l'autre. Je pars pour l'Angleterre dans quatre ou cinq jours, & suis bien loin assurément de faire des tragédies.
J'ai renoncé pour jamais aux vers,
Mais il s'en faut bien que je sois devenu philosophe comme celui dont je vous cite les vers. Adieu, je vous aime en vers & en prose de tout mon cœur, & vous serai attaché toute ma vie.
Voltaire