1760-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à conte Francesco Algarotti.

Je suis malade depuis longtemps, mon cher cigne de Padoüe, et j'en enrage.
Le Linquenda hœc fait de la peine, quelque philosophe qu'on soit; car je me trouve très bien où je suis, et je n'ai datté mon bonheur que du jour où j'ai jouï de cette indépendance précieuse, et du plaisir d'être le maître chez moi, sans quoi, ce n'est pas la peine de vivre. Je goûte dans mes maux du corps les consolations que votre livre fournit à mon esprit; cela vaut mieux que les pilules de Tronchin; si vous voulez m'envoyer encor une dose de votre recette, je crois que je guérirai.

Si tout chemin mène à Rome, tout chemin mène aussi à Genève; ainsi je présume qu'en envoiant les choses, de messager en messager, elles arrivent à la fin à leur adresse; c'est ainsi que j'en use avec votre ami M. Albergati, dont les lettres me font grand plaisir, quoiqu'il écrive comme un chat. J'ai beaucoup de peine à déchiffrer son écriture. Vous devriez bien, l'un et l'autre, venir manger des truittes de notre Lac avant que je sois mangé par mes confrères les vers. Les gens qui se conviennent sont trop dispersés dans ce monde: j'ai quatre jésuites auprès de Ferney, des pédants de prédicants auprès des Délices, et vous êtes à Venise ou à Boulogne. Tout cela est assez mal arrangé; mais le reste l'est de même.a

Ayez grand soin de vôtre santé, il faut toujours qu'on dise de vous:

Gratia fama valetudo contengit abundæ.

Pour, gratia et fama, il n'y a pas de conseil à vous donner, ni de souhaits à vous faire.

Vive memor lethi fugit hora hoc quod loquor inde est.

Vive lætus et ama me.

V.