[28 July 1733]
Je reçois ce mardy au soir 28 juillet votre lettre du vingt trois.
Premièrement je me brouille avec vous à jamais, et vous m'outragez cruellement si vous me cachez ceux qui vous ont pu mander l'impertinente calomnie dont vous parlez. Je ne veux pas assurément leur faire de reproche; je veux seulement les désabuser. Il y va de mon honneur, et il est du vôtre de me dire à qui je dois m'adresser pour détruire ces lâches et infâmes faussetez.
Je n'ay point vu le g. des s. mais j'aprends dans l'instant qu'il a écrit au premier président de Rouen dans la fausse supposition qùe les lettres anglaises s'impriment à Rouen. Je suis menacé cruellement de tous les côtez. Si vous m'aimez mon cher Tiriot vous reculerez tant que vous pourez l’édition française. Je suis perdu si elle paroit à présent. Ne rompez pas pour cela vos marchez. Au contraire faites les meilleurs, et tirez quelque profit de mon ouvrage. Je vous jure que c'en est pour moy la plus flateuse récompense. Les lettres contre Pascal vous doivent être bien payées, et les libraires ne perdront pas pour attendre.
A l’égard du temple du goust, dites de ma part mon cher amy, au tendre et passioné autheur de Manon Lescaut, que je suis de votre avis et du sien sur les retranchements faits au temple du goust. Ah mon amy mériteroi-je votre estime si j'avois de guaité de cœur retranché melle le Couvreur et mon cher Maisons! Non ce n'est assurément que malgré moy que j'avois sacrifié des sentiments qui me seront toujours si chers. Ce n’étoit que pour obéir aux ordres du ministère, et après avoir obéï, après avoir gâté en cela mon ouvrage, on en a suspendu l’édition à Paris; et pour comble d'ignominie, on a permis dans le même temps que l'on jouast chez les farceurs italiens une critique de mon ouvrage que le public a vue par malignité, et qu'il a méprisé par justice.
Ce n'est pas tout. Je ne suis pas sûr de ma liberté. On me persécute, on me fait tout craindre, et pourquoy? pour un ouvrage innocent qui un jour sera regardé assurément d'un œil bien different. On me rendra un jour justice, mais je seray mort, et j'auray été acablé pendant ma vie dans un pays, où je suis peutêtre de tous les gens de lettres qui paroissent depuis quelques années, le seul qui mette quelque prescription à la barbarie.
Je suis charmé de la traduction des vers à melle Gossin. Envoiez moy tout ce qui paraîtra. Faites en un gros paquet. Mr Pelham peut vous rendre aisément de ces services. Adieu mon chsr ami. C'est bien à présent que je doi dire
Je viens de vous dédier Adelaide.
V.