aux Délices 13 septb[1756]
Mon cher ange vous vous êtes tiré d'affaire très courageusement avec notre conseiller d'état.
Cet Apollon Tronchin n'aurait pas réussi à Paris comme l'Esculape Tronchin. Notre Esculape nous gouverne àprésent. Il y a un mois que la pauvre madame de Fontaine est entre ses mains. Je ne sçais qui est le plus malade d'elle ou de moy. Nous avons besoin l'un et l'autre de patience et de courage. Madame Denis espère que vingt quatre mille français passeront bientôt par Francfort. Elle leur recommandera un certain mr Freitag, agent du Salomon du nord, le quel s'avise quelquefois de faire mettre des soldats avec la bayonette au bout du fusil dans la chambre des dames. Je voudrais que Monsieur le maréchal de Richelieu commandast cette armée. Puisque les français ont battu les anglais, ils pouront bien déranger les rangs des vandales. Avez vous vu le vainqueur de Mahon dans sa gloire? s'est il montré aux spectacles? a t'il été claqué comme mademoiselle Clairon? On dit que madame de Grafigni va donner une comédie grecque où l'on pleurera baucoup plus qu'à Cénie. Je m'intéresse de tout mon cœur à son succez, mais des tragédies bourgeoises en prose annoncent un peu le complément de la décadence.
On dit que Marie Terese est actuellement l'idole de Paris, et que toutte la jeunesse veut actuellement s'aller battre pour elle en Boheme. Il peut résulter de là quelque sujet de tragédie; je ne me soucie pas que la scène soit bien ensanglantée, pourvu que le bon mr Freitag soit pendu. On attend dans peu de jours la décision de cette grande affaire. On ne sait encor s'il y aura paix ou guerre. Le Salomon du nord a couru si vite que la reine de Saba pourait bien s'arréter. La paix vaut encor mieux que la vangeance. Adieu mon cher et respectable ami, portez vous mieux que moy et aimez moy.
V.