aux Délices 2 aoust [1756]
Si j'avais quelques vingt ou trente ans de moins, il se pourait à toutte force, mon cher et illustre ami, que je me partageasse entre vous et melle Clairon.
Mais en vérité je suis trop raisonable pour ne vous pas donner la préférence. J'avais promis il est vrai de venir voir à Lyon l'Orfelin chinois, et comme il n'y avait à ce voiage que de l'amour propre, le sacrifice me parait bien plus aisé. Madame Denis devait être de la partie de l'Orfelin. Elle pense comme moy, elle aime mieux vous attendre. Ceci est du temps de l'ancienne Grèce où l'on préférait à ce qu'on dit les philosophes.
Le bruit court que vous venez avec un autre philosophe. Il faudrait que vous le fussiez terriblement l'un et l'autre pour accepter les bouges indignes qui me restent dans mon petit hermitage. Ils ne sont bons tout au plus que pour un sauvage comme Jean Jaques, et je crois que vous n'en êtes pas à ce point de sagesse iroquoise. Si pourtant vous pouviez pousser la vertu jusques là, vous honoreriez infiniment mes antres des Alpes en daignant y coucher. Vous me trouverez bien malade. Ce n'est pas la faute du grand Tronchin. Il y a certains miracles qu'on fait et d'autres qu'on ne peut faire. Mon miracle est d'exister, et ma consolation sera de vous embrasser. Ma champêtre famille vous fait les plus sincères compliments.
V.