1756-07-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Vos lettres madame sont bien aimables; mais ce n'est pas sans peine qu'on jouit du plaisir de les lire.
Il n'y a point de chat qui n'avoue que vous le surpassez baucoup. Nous avons enfin au gîte ce célèbre Tronchin qui vous était je crois très inutile. Votre régime vaut encor mieux que luy. Ce sera à vous seule que vous devrez une longue vie. Jouissez en dans le sein de l'amitié avec madame de Broumat. Si je n'étais pas retenu dans mes Délices par ma famille, j'aurais pu avoir encor la consolation de vous voir à Strasbourg. L'Electeur palatin avait bien voulu m'inviter à venir lui faire ma cour à Manheim. Je sens que j'aurais donné volontiers la préférence à l'île Jar. Vous savez d'ailleurs que j'ay renoncé aux cours.

Je ne sçais pourquoy les parents de M. le maréchal de Richelieu qui sont avec luy devant port Mahon, ont fait courir le fragment d'une lettre que je lui écrivis il y a plus de six semaines. Ils comptaient apparemment prendre le fort de st Philippe plustôt qu'ils ne le prendront. M. le duc de Villars me mande qu'il vient d'envoier encor un renfort de six cent hommes, et de deux cent cinquante artilleurs. On ne dit point qu'on ait pris un seul ouvrage avancé. Cependant il me parait qu'on ne doute pas qu'on ne vienne enfin à bout de cette difficile entreprise. Elle deviendra glorieuse par les obstacles.

Vous ne vous attendiez pas madame qu'un jour la France et l'Autriche seraient amies. Il ne faut que vivre pour voir des choses nouvelles. Tout solitaire, tout mort au monde que je le suis j'ay l'impertinence d'être bien aise de ce traitté. J'ay quelquefois des lettres de Vienne. La reine de Hongrie est adorée. Il était juste que le bien aimé et la bien aimée fussent bons amis. Le roy de Prusse prétend à une autre gloire. Il a fait un opéra de ma tragédie de Mérope, mais il a toujours cent cinquante mille hommes et la Silésie.

Adieu made, recevez mes respects pour vous, pour toutte votre famille et pour madame de Broumat.