à Monrion 7 février 1756
Je vous remercie bien fort, mon héros, de votre belle et instructive épitre.
Il est vrai que vous écrivez comme un chat, et que si vous n'y prenez garde vous égalerez le maréchal de Villars. Je me flatte bien que vous l'égalerez tout de même quand il ne sera pas question de plume. Mais il me semble que le nouvau traitté, dont le roy de Prusse s'applaudit, ne vous permettra pas la guerre de terre. Vous ne seriez pas le premier de votre nom qui eût gagné une bataille navale. Mais jusqu'à présent vous n'avez pas tourné vos vües de ce côté. Vous allez pourtant vous montrer à la Méditeranée, et je voudrais que les anglais fissent une descente vers Toulon, pour que vous les traittassiez comme on vient de les traiter à Philadelfie.
Je reviens à Fontenoy. Je suis encor à comprendre comment ma nièce ne vous donna pas le manuscrit que je lui avais envoyé pour vous. Ce manuscrit ne contenait que des mémoires, qu'il fallait rédiger et resserrer. Il y avait une grande marge qui attendait vos instructions dans vos moments de loisir. Mr de Chimene, qui allait souvent chez ma nièce, sait comment ces mémoires informes et défigurez ont été imprimez en partie. Je ferai transcrire l'ouvrage entier dès que je serai de retour à mes petites Délices auprès de Geneve. Il est bien certain que le nom de Reiss ou de Tesée est une chose fort indiférente, mais ce qui ne l'est point c'est qu'on ose vous contester le service important que vous avez rendu au roy et à la France. Permettez moy seulement de vous représenter qu'en vous tuant de dire qu'il n'y a pas un mot de vrai dans la conversation raportée, vous semblez donner un prétexte à vos envieux de dire que ce qui suit cette conversation n'est pas plus véritable. Je n'ay pas inventé le Tesée, et par parentèse cela est assez dans le ton de m. le maréchal de Noailles. C'est encor une fois votre écuier Feraulas qui me l'a conté: c'est une circomstance inutile sans doute, mais ces bagatelles ont un air de vérité qui donne du crédit au reste, et si vous me contestez le Tesée publiquement, vous affaiblissez vous même les véritez qui sont liées à cette conversation, on présumera que j'ay hasardé tout ce que je raporte de cette journée si glorieuse pour vous.
Au reste toutte cette histoire est fondée sur les lettres originales de tous les généraux, et quelques petites circomstances qu'on m'a dittes de bouche, ne peuvent je croi faire aucun tort au reste de l'histoire, quand je raporte mot pour mot les lettres qui sont dans le dépost du ministre.
Je souhaitte que la guerre sur mer soit aussi glorieuse que la dernière guerre en Flandre l'a été.
Croiriez vous monseigneur que le Roy de Prusse vient de m'envoier ma tragédie de Mérope, mise par luy en opéra? Il m'avertit cependant qu'il n'est occupé qu'à des traitez. Je voudrais que vous vissiez quelque chose de son ouvrage. Cela est curieux. Faites vos réflexions sur ce contraste, et sur tous ces contrastes. J'aurais pu donner quelques bons avis, mais je me renferme dans mon obscurité et dans ma solitude, comme de raison.
Je ne doute pas que vous ne voiiez Made de Pompadour avant votre départ. Je n'ay qu'à vous renouveller mon éternel et respectueux attachement.
V.