aux Délices 15 juin [1756]
Mon cher ange, nos amours sont furieusement traversez.
Je ne pourai de plus de trois mois travailler à cette tragédie que vous voulez avec tant d'obstination, et que j'ay déjà esquissée pour vous plaire. Vous savez que Villars ne peut être partout. On va imprimer une nouvelle édition du siècle de Louis 14 à la suitte d'une espèce d'histoire universelle. Je croi vous l'avoir déjà mandé. Je lis cette compilation des mémoires de made de Maintenon, et j'admire comment un homme a l'audace de publier tant de sottises, tant de mensonges et de contradictions, d'insulter tant de familles, de parler si insolement de tout ce qu'il ignore, et comment on a la bonté de le soufrir. Il est assez singulier que cet homme soit à Paris et que je n'y sois pas. Il a eü quelques bons mémoires et il a noyé le peu de véritez inutiles que contiennent les mémoires de Dangeau, d'Hebert, de melle d'Aumale dans un fatras d'impostures de sa façon. Il a trouvé le vrai secret d'être lu, et d'être méprisé.
Il avance hardiment que le premier dauphin épousa melle Chouin. J'ay toujours entendu dire à ceux qui ont vécu avec elle, et surtout à madame de Villefranche et à me de Bolingbroke que c'était un conte ridicule. Si vous avez pu mon cher et respectable ami déterrer un peu de vérité parmi les anecdotes d'erreur dont le monde est plein, daignez à vos heures perdues vous amuser à m'instruire afin que je sorte au plustôt du bourbier désagréable de l'histoire pour me donner tout entier aux choses que vous aimez.
Vous n'aurez de moi que ce feuillet. Une bouteille d'encre est tombée sur l'autre. Made Denis et me de Fontaine vous embrassent. Cette Fontaine là ressuscitée est toute étonnée de ma maison et de mes jardins. Elle dit que cela serait bien beau auprès de Paris, mais je ne le crois pas.
Il court une lettre de moy à monsieur le maréchal de Richelieu. Ce n'est pas moy certainement qui l'ay communiquée. S'il a publié mes proféties, j'espère qu'il les remplira.
V.