1719-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Madeleine de Carvoisin d'Achy, marquise de Mimeure.

On ne peut vaincre sa destinée; je comptais, madame, ne quitter la solitude délicieuse où je suis que pour aller à Sully; mais m. le duc et madame la duchesse de Sully vont à Villars, & me voilà, malgré moi, dans la nécessité de les y aller trouver.
On a su me déterrer dans mon ermitage pour me prier d'aller à Villars, mais on ne m'y fera point perdre mon repos. Je porte à présent un manteau de philosophe dont je ne me déferai pour rien au monde. Vous ne me reverrez de longtemps, madame la marquise; mais je me flatte que vous vous souviendrez un peu de moi, & que vous serez toujours sensible à la tendre & véritable amitié que vous savez que j'ai pour vous. Faites moi l'honneur de m'écrire quelquefois des nouvelles de votre santé & de vos affaires; vous ne trouverez jamais personne qui s'y intéresse autant que moi. Je vous prie de m'envoyer le petit emplâtre que vous m'avez promis pour le bouton qui m'est venu sur l'œil. Surtout ne croyez point que ce soit coquetterie, & que je veuille paraître à Villars avec un désagrément de moins. Mes yeux commencent à ne me plus intéresser qu'autant que je m'en sers pour lire & pour vous écrire. Je ne crains plus même les yeux de personne; & le poème de Henri IV & mon amitié pour vous, sont les deux seuls sentiments vifs que je me connaisse.