19 avril 1756 à Paris
J'attendois de vos nouvelles avec impatience, mon très cher et très illustre ami, et maintenés vous du mieux qu'il vous sera possible, jusqu'au retour de M. Tronchin, qui établit ici l'inoculation dont vous avés donné à votre Pays les premières notions il y a 25 ans.
A près l'exemple de M. le Duc de Chartres et de Mademoiselle, après celui de M. le Comte de Gisors et de Mad. la Marquise de Villeroi qui commencera après demain, vous prévoyés combien il y en aura de jour en jour. Le Roi Stanislas a écrit à M. le Duc d'Orléans pour engager M. Tronchin à s'en retourner par la Loraine. On dit que ce Roi si sage et si bienfaisant veut avant de fonder un hôpital pour l'Inoculan prendre les avis de M. Tronchin. D'autres disent que c'est pour le rétablissemt de la santé de Made de Bouflers. Enfin je vous assure que jamais la Médecine n'a été si honnoré ici qu'en la personne de M. Tronchin qui en guérissant ses Malades a aussi l'art de leur plaire et de s'en faire admirer.
Envoyés moi au nom de Dieu sans délibérer vos Lamentations sur Lisbone, et votre Testamt en vers, où vous traittés de la Loi Naturelle, par la poste tout simplement, je ferai cette dépense avec un plus gd plaisir que je la fais pour la Musique de Rameau ou de Mondonville. J'ai le goût tout aussi vif pour les beaux Vers, les belles Lettres et les beaux arts que je l'ai jamais eu, et je ne vous causerai jamais le déplaisir qu'on puisse me reprocher
Je n'ai point eu le Don des Talents en partage, mais j'ai celui de les avoir aimé et de les aimer encor passionnémt. Je vous connais, et je m'attends que vous aurés bien poli et achevé tous ces beaux Poèmes dont vous enchantés votre Siécle. Je ne saurois vous exprimer à quel point je suis pénétré de l'honeur et de l'amitié dont vous me comblés en mettant mon nom en tête de ces beaux discours immortels dont les lectures seront encor plus répétées, que vos Tragédies seront fréquentées.
J'ai veu Lambert qui n'a pas besoin d'être pressé pour expédier l'Edition qu'il a déjà commencée à l'instar de celle des Crammers. Il m'a donné une adresse pour que vous lui en fassiés tenir au plustôt un exemplaire, qu'il faudra mettre en deux paquets de huit vol. chacun par le même Courrier, et ces deux paquets sont pour la commodité. Il les faut adresser à M. Thiroux de Montsauge, fermier g͞nal des Postes à Paris. Vous pouvés être assuré qu'il lui sera rendu sur le champ, j'en suis certain. Vous pouvés lui adresser de même Lisbone et la Loi Naturelle en forme de Lettre à la même adresse.
Je n'ai point perdu de veüe les Délices, quoiqu'à notre âge on ne se transporte pas volontiers si loin, mais je suis corriace, et j'ai du courage. Si mes petites affaires grossissoient avec un peu plus de célérité j'en satisferois plustôt mes désirs. J'ai toujours été informé par les allants et venants des agréments de votre retraite et de la bonne chère que vous y faites, et les Délices me plairoient bien plus que Twick'nam, comme vos vers plus que ceux de Pope dont il vous est aussi libre que beau de faire les honeurs, chacun est Maitre de son bien. J'ai quelque argent comptant, il m'en doit revenir encor, la Guerre va occasionner des emprunts en rentes viagères, Tontines &c…. J'ai deux ans encor à faire des arrangemens pour tirer parti de la soixantaine. Les moments sont chers, il en faut profiter ou jamais. Je me vois dans la possibilité d'augmenter encor de Cent Pistoles mon petit revenu.
Je n'ai garde de me faire une querelle sérieuse en oubliant de vous dire de la part de Mad. de Sandwich combien la lecture de vos annales d'Allemagne lui a fait plaisir, et qu'elle en a plus apris dans ces deux vol. que dans tout ce qu'elle a leu dans sa vie sur les Loix et la Politique de ces Peuples, et que si votre Siècle et votre Nation n'ont pas honnoré cet ouvrage autant ql le mérite, c'est qu'ils sont trop frivoles et trop ignorants.
J'attends Lisbone et la Loi Naturelle et je vous embrasse de tout mon cœur.
Tht