1756-02-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Je suis doublement flatté monsieur, les vers que vous daignez m'adresser sont les meilleurs que j'aie jamais vus de vous.
Vous voyez que ce sont les obstacles qui font les succès, et que c'est souvent d'un terrain ingrat qu'on tire le meilleur parti. Si ma déplorable santé me l'avait permis j'aurais eu la satisfaction d'entendre ces vers de votre bouche. M. Lebaut me mettra peut-être en état de faire le voyage s'il continue à me faire avoir un aussi bon cordial que son vin. Permettez moi de lui présenter ici mes respects, aussi bien qu'à madame Lebaut.

L'histoire de la guerre de 1741 dont vous me parlez est une rapsodie misérable tirée d'une partie de mes manuscrits qu'on m'a volés. Tout y est tronqué, et estropié. Cette prétendue histoire ne va que jusqu'à la bataille de Fontenoy. Il y a quelques années qu'on me vole ainsi mon bien et qu'on le dénature pour le vendre. On met sous mon nom des ouvrages que je ne connais pas; on défigure ceux que j'ai faits. Il faut prendre patience. Il y a de plus grands maux dans le monde sur terre et sur mer. J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur,

votre très humble et très obéissant servitr

Voltaire