1755-10-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Abram Elie Daniel Clavel de Brenles.

Qu'esce que la vie? mon cher philosofe? voilà ce Gies si frais, si vigoureux, mort dans mon pauvre Monrion.
Cela me rend cette maison bien désagréable. J'aimais Gies de tout mon cœur. Je comptais sur luy. Il m'avait arrangé ma maison de son mieux, j'espérais vous y voir incessamment. Sa pauvre veuve mourra peut être de douleur. Gies était sur le point de faire une fortune considérable. Sa famille sera probablement ruinée. Voylà comme touttes les espérances sont confondues. Je n'ay que deux jours à vivre, en passerai-je un avec vous?

Quand revenez vous à Lauzane? vous seul serez capable de me déterminer à habiter Monrion. Je suis bien incapable de répondre aux vers flatteurs de madame de Brenles, le chagrin étouffe le génie. On me mande de tous côtez que la pucelle est imprimée, mais on ne me dit point où. Tout ce que je sçai c'est que ce galant homme de capucin en a proposé treize chants à Francfort à un libraire nommé Eslinger, mais il voulait les vendre si cher que le libraire a refusé le marché. Il est allé les faire imprimer ailleurs. Saint François d'Assize vous a envoié là un bien vilain homme.

Madame Denis et moy nous vous assurons de notre tendre attachement. Nous en disons autant à made de Brenles.