des Delices ce 10 7bre
Mon frère me mende Monsieur que vous êtes très fâché contre moi et contre mon Oncle, cette nouvelle me met au désespoir. Je ne chercherai point à me justifier à vos yeux, j'ai tort sans doute puis que je vous ai déplu.
Mais daignez considérer que je suis à cent lieues de Paris, hors de portée de vous faire ma cour, de voir par moi même, et que je ne peux penser et agir que sur ce qu'on me mende.
On m'assure que vous avez dit à la personne qui étoit à la recherche du manuscrit la source d'où il venoit. On m'ajoute que vous en avez des preuves certaines, et on ne me dit pas que vous aiez exigé le moindre secret au contraire; comment puis je deviner que vous ne voulez pas être nommé?
J'ai l'honneur de vous en écrire et je me trouve forcée de faire part de cette affaire à Mme de — — par ce qu'elle m'avoit recommendé expressément que l'ouvrage ne fût jamais imprimé qu'après un long temps et un très mûr examen. Jugez Monsieur de mon effroi lors que j'apprands qu'on imprime l'histoire du Roy sur un manuscrit qui vient d'un homme qui ne peut avoir dérobé que des brouillons informes mis au rebut par l'auteur et qu'il a perdu de vue depuis sept ans.
Soiez sûr Monsieur que si j'avais cru vous menquer en vous nommant, je me serais bien gardé de vous envoier copie de ma lettre, cette démarche vous prouve mon inossence, je dis plus, je ne l'aurais jamais écritte.
Je sens que cette affaire ci est très malheureuse, le libraire n'a point de tort. Il achète un manuscrit sans nom. Le censeur est aussi dans la règle puis qu'il ignore d'où vient l'ouvrage. Je ne vous parle point de celui qui l'a volé, mais si j'ai dit la vérité sans assez de ménagement, l'éloignement qui m'empêche de voir le point juste des choses en est la cause. Je n'ai pu savoir que ce qu'on me mendait, je n'ai pu voir que le danger de Mon Oncle qu'on auroit accusé (comme on a fait souvant si cruelement et si injustement) de s'être fait voler, tandis qu'il garde depuis plusieurs années par respec un ouvrage au quel il a mis la dernière main.
Mais de tous les malheurs le plus grand pour moi Monsieur est de vous avoir fâché sans avoir pu le prévoir. Ce coup m'est d'autant plus sencible que mon attachement et mon admiration pour vous ne méritent pas votre inimitié. Si vous pouviez lire dans mon coeur vous me pleindriez en rendand justice à ma bonne foi. J'espère aussi que vous la rendrez enfin à Mon Oncle, c'est pour lui le prix le plus flateur de quarante ans de travaux qui ne font pas honte à sa patrie.
J'ai l'honneur d'être avec respec
Monsieur
Votre très humble et très obbéissente servente
Denis