[c. 25 August 1755]
Madame,
Je me jette à vos pieds pour implorer vos bontez et votre justice.
Un nommé Prieur, libraire, imprime actuelement malgré Mon Oncle des fraguemens de son histoire des campagnes du Roy.
J'apprands dans l'instant que ces fragmens sont de vieux brouillons mis au rebut par Mr de Voltaire depuis son départ de Paris, dont le Marquis de Chymene m'a volé une partie, dans le temps que j'étais occupée à les brûler, et qu'il vient de les vendre 25 louis au libraire.
Ce fait là est avéré Madame, et Monsieur de Malzerbe en a des preuves.
Le respec que cet ouvrage doit inspirer puis qu'il y est question du Roy et des personnes les plus recomendables de sa cour, m'engage à vous informer de l'abus qu'on en fait. Je croirais menquer Madame au Roy et à vous même, si dans une occasion aussi importante je n'avais pas recours à votre protection; c'est par votre conseil même que mon Oncle n'a pas mis encor au jour cet ouvrage. Lors qu'il a sçu qu'on l'imprimait il a eu l'honneur de vous suplier de le deffendre. Jugez de sa douleur lors qu'il apprand qu'on le produit sur des brouillons mis au rebut, qu'il a perdu de vue depuis sept ans, et qui sont corrigés par Mr de Chymene. Cet événement a redoublé ses maux, et le met hors d'état de vous implorer lui même.
Nous vous suplions Madame de donner des Ordres pour faire suprimer àjamais cette furtive édition; c'est une nouvelle grâce ajouttée aux bontez dont vous nous honnorez.
Je suis avec le plus profond respec.