1755-09-06, de Alexis Piron à Jean François Le Vayer.

Je me hâte, monsieur, de vous répondre pour me relever de la faute que j'ai faite en vous annonçant la chute de la tragédie de Voltaire. Le désir de vous en donner les premières nouvelles a été cause de cela. J'en ai cru légèrement le premier venu d'autant plus innocemment que c'est un des adorateurs de V. Il n'était pas même le seul de son avis. Sarazin m'était venu dire pis encore, et que la pièce aurait bien de la peine à aller jusqu'à 7 ou 8 représentations. C'est aujourd'hui la 8e; et mercredi elle fit 3,000 liv. Ainsi le succès est très sûr et très grand en dépit de l'envie ou du bon goût. Les malveillants se rabattent sur la singularité des décorations chinoises et le jeu brillant de la Clairon, soutenant toujours que la pièce ne vaut pas le diable et n'a de valeur intrinsèque qu'un pillage scandaleux de tous les auteurs morts et vivants, depuis celui de Cinna jusqu'à celui d'Abenzaïd. L'impression justifiera ou fera tomber ces mauvais bruits. En attendant, V. triomphe. J'étais mal averti encore quand j'ai plaisanté sur le pot au lait renversé; il méritait si peu cela de toute manière que par un désintéressement plus admirable en lui qu'en tout autre, on me dit hier qu'il avait abandonné sa part d'auteur en considération de la dépense qu'il a occasionnée en habits et en décorations. Tant de mensonges qu'on m'a fait m'induisent à espérer que sa disgrâce de Genève ne sera pas plus véritable que le reste. Vous parlez comme un ange à ce propos sur sa catholicité, et vous êtes, comme en toute autre chose, mon maître en bonne plaisanterie. Mais cette catholicité n'a que voir à sa disgrâce prétendue; on la motive bien autrement, et c'était des gens qui arrivaient à l'heure même de Genève, qui venaient de me conter son expulsion et le supplice de sa Pucelle. Trompé sur les autres articles je suis en droit de me le croire encore sur ceux là et je vous en fais ma déclaration dont je vous demande acte pour me servir en temps et lieux où besoin serait. Mais, monsieur, que manderait on de nouveau aux absents, si l'on voulait vérifier tout ce qu'on leur mande? Encore une fois, je n'ai point péché par malice, mais par précipitation qui ne venait que d'un beau zèle….