1755-01-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Toute adresse est bonne, mon cher et respectable ami; et il n'y a que la poste qui soit diligente et sûre: Ainsi je puis compter sur ma consolation soit que vous écriviez par Mr Tronchin à Lyon, ou par Mr Fleur à Besançon, ou par Mr Chapuis à Genêve, ou en droiture au château de Prangin au Pays-de-Vaud.

Dieu a puni Royer; il est mort. Je voudrais bien qu'on enterrât avec lui son Opéra avant de l'avoir exposé au théâtre sur son lit de parade. L'orphelin vivra peu de temps; je ferai ce que je pourai pour alonger sa vie de quelques jours, puisque vous voulez bien lui servir de père.

Lambert m'embarasse actuellement beaucoup plus que les conquérants tartares, et il me parait aussi tartare qu'eux. Il ne s'agit pas ici d'une négligence excusée par de plats mensonges. Il s'agit d'un ballot considérable, contenant non seulement des livres, mais des hardes et des éffets de prix. Il n'y a que vous, mon cher ange, qui puissiez en imposer à ce Lambert. Je vous conjure de m'aider dans cette occasion de toutes vos bontés. Il est certain que Madlle Pichon a remis ce paquet à Lambert vers le 16 xbre; que Lambert s'en est voulu absolument charger; qu'il prétend l'avoir mis au carosse, et avoir écrit une lettre d'avis à Mr Fleur à Besançon. Or, Mr Fleur n'a reçu ni lettre d'avis, ni paquet. Tout cela est três-suspect, et Lambert s'expose beaucoup. Son éxcuse est d'un coupable, et d'un sot, et non pas d'un homme négligent. Il a l'impertinence de m'écrire que la Poste lui envoïe mes lettres décachetées: cela n'est pas vrai, et ces prétendues lettres décachetées n'ont rien de commun avec un ballot dont il doit rendre compte. Je vous demande mille pardons de vous importuner d'une affaire si désagréable, mais votre amitié constante et généreuse ne s'est jamais bornée au commerce de Littérature, aux conseils dont vous avez soutenu mes faibles talents: Vous avez daigné toujours entrer dans toutes mes peines avec une tendresse qui les a soulagées. Tous les temps et tous les événements de ma vie vous ont été soumis: les plus petites choses vous deviennent importantes quand il s'agit d'un homme que vous aimez. Voilà mon excuse. Je demande à Lambert qu'il rende à Madlle Pichon chez ma nièce à Paris non seulement mon ballot, mais tous les livres qu'il a pris dans ma bibliothèque, et qu'il devait ou vendre, ou m'envoyer. Je me persuade qu'il ne voudra pas faire une friponnerie sous vos yeux.

Pardon mon cher ange. Je n'ay que le temps de vous dire qu'on me fait courir tout malade que je suis pour voir des maisons et des terres. Est il vray que Dupleix s'est fait Roy, et que Mandrin s'est fait héros à rouer? On me mande que la Pucelle est imprimée, et qu'on la vend un louis à Paris. C'est aparemment Mandrin qui l'a fait imprimer. Cela me fera mourir de douleur.