1754-12-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Lambert.

J'ay reçu mon cher Lambert votre lettre du 11 Xbre par la quelle vous m'aprenez que vous avez reçu décachetées touttes les lettres que je vous avais écrites.
Il faut que ce soit quelqu'un de vos garçons qui se soit diverti à cette espièglerie, car je vous assure qu'à la poste on n'ouvre que les lettres de gens suspects à l'état et vous ne l'êtes pas. D'ailleurs quand on ouvre les lettres on a grand soin de les recacheter très proprement.

Mon commerce avec vous ne peut être dangereux pour personne, et pouvait vous être utile.

Je vous envoyai il y a un mois et demi par le carosse de Strasbourg le siècle de Louis 14 corrigé et augmenté que vous disiez vouloir réimprimer; et vous ne m'en avez ny accusé la réception ny fait aucune mention.

Vous vouliez ma véritable histoire universelle, et je l'avais faitte transcrire pour vous.

Vous prétendiez réimprimer mes œuvres mêlées, et en donner enfin une bonne édition au lieu de touttes les mauvaises qui ont paru. Vous commençâtes par m'envoyer une feuille de la Henriade au mois d'octobre dernier, et depuis ce temps vous avez cessé de m'écrire, comme vous avez cessé votre entreprise.

Je vous avais prié au mois d'octobre de prendre des livres dans ma maison de Paris, et de me les envoyer. Vous me mandez au mois de Xbre que vous avez envoyé ce paquet port payé à mr Fleur à Bezançon. Je ne vois pas pourquoy vous auriez payé ce port que Mr Fleur mon banquier devait payer, ny pourquoy vous auriez fait cette démarche sans l'en prévenir par une lettre d'avis.

Mais la vérité est que Mr Fleur n'a rien reçu pour moy de votre part.

Je vous ay demandé si vous aviez pris tous les infolio de ma bibliotèque; et si vous aviez fait un gros ballot d'une centaine de volumes. Vous ne m'avez jamais répondu sur cet article.

Il me semble que rien de tout cela n'est mistère d'état. J'avais espéré de vous plus d'exactitude. Je compte sur votre amitié, et je voudrais pouvoir vous donner des preuves de la mienne.

V.

Si jamais vous pouviez prendre sur vous d'être un homme arrangé et exact comme un négociant doit l'être et si vous avez besoin de moy, vous n'avez qu'à adresser vos lettres à mon banquier monsieur Fleur à Bezançon.