1754-12-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Lambert.

Encor une fois je ne crois point du tout qu'on ouvre vos lettres à la poste, encor moins qu'on vous les envoye décachetées.

En tout cas si quelqu'un se divertit à ce manége il verra que vous devez avoir reçu par le carosse de Strasbourg il y a deux mois un exemplaire d'une de vos éditions du Siècle de Louis 14, corrigé et augmenté, suivant le désir que vous m'avez témoigné de réimprimer cet ouvrage approuvé du ministère, et réimprimé vingt fois en Europe.

Il verra que vous ne m'avez pas accusé la réception du paquet.

Il verra que votre édition fourmille de fautes, et que je n'ay pas eu le temps de les corriger touttes, qu'ainsi vous avez besoin d'un correcteur.

Il verra qu'au chapitre 25, il faut Armand de Conty, cousin du grand Condé et non pas petit neveu.

Il verra qu'au commencement du chapitre 19 il faut ôter ces mots l'entrée de la mer est inaccessible aux grands vaissaux et mettre à la place il n'y a point de port.

Il verra qu'au chapitre 16, au lieu de ces mots le prince de Conti fut élu par le plus grand nombre il faut Louis François prince de Conti fut Elu par le plus grand nombre.

Il verra que ces corrections sont nécessaires, si vous voulez faire une édition nouvelle comme vous me l'aviez mandé.

Il apprendra de plus que M. Fleur n'a point reçu mon ballot de livres que vous dites avoir envoyé.

Il saura que vous êtes le plus négligent de tous les hommes pour vos amis, et peutêtre pour vos vrais intérêts, et que malgré tout cela j'ay baucoup d'amitié pour vous.