de Prangein ce 14 10bre [1754]
Je suis extrêmement flatée Monsieur de la marque de confiance que vous me donnez et je ferai de mon mieux pour en faire un bon usage.
Je vous jure que Mon Oncle n'a point de fiel contre la personne dont vous me parlez. Il en a même été bien plus Contant à la seconde entrevue qu'à la première. Je puis même vous répondre qu'il n'en a parlé à Lion et à Geneve que dans des termes très convenables, et qu'il a la plus grande envie du monde de mériter son amitié. Je me flate toujours que vous nous la ménagerez. Je ne suis point étonnée que dans une grande ville comme Lion on ne l'ait fait parler. La crainte même que cela n'ogmente nous a fait prendre la résolution de quiter Lion plutos que nous ne l'avions progeté. Mon Oncle est tendrement attaché à toute sa famille et est bien loin de vouloir déplaire à un chef aussi respectable dans le temps qu'il quita la cour. Il est très vrai qu'on étoit fort fâché mais les choses ce sont bien radoucies depuis. Le temps où on a reçu la lettre qui a effarouché a été encor un moment orrageux par ce qu'on crut que Mon Oncle avoit donné au public un livre qui a déplu, mais il a été bien prouvé depuis qu'il étoit tronqué et deffiguré et qu'il n'avoit eu nulle part à l'impression, ainci tout est en paix présentement et le Maréchal nous a assuré que nous devions être très tranquils, et qu'on revenoit beaucoup sur le Compte de qui vous savez. Vos soins Monsieur feront le reste. Car Lion est une ville charmente où nous serons enchantés d'avoir l'honneur de vous voir et de faire notre Cour à Mr le Cardinal.
Nous sommes arrivés à Geneve le troisième jour comme nous l'avions progetés. Il n'y a point de prévenence que nous n'aions reçus de toute votre aimable famille. Mr votre frère nous a fait garder les portes de Geneve jusqu'à six heures. Malgré toute la diligence que nous avons fait nous n'avons pu arriver plus tos. Nous soupâmes hyer chez Monsieur votre cousin et nous les avons quités avec bien du regret pour nous rendre aujourdui à Prangein où nous sommes arrivés à midi. Mon premier soin Monsieur est de vous faire mes remercimens et de vous dire combien je suis sencible à toutes les marques d'amitiés que vous nous donnez. Je ne vous ferai point de compliment mais je vous jure que je vous suis attachée pour ma vie.
Je décachete cette lettre Monsieur pour vous prier de m'envoier une robe de chambre que Mme de Fleurieux vous fera remettre et de ne pas perdre de temps par ce qu'elle est fort chaude et qu'il fait un froit mortel ici. Cette robe de chambre est une petite galentrie que je fais à mon Oncle. Je vous suplie de faire dire à Mme de Fleurieux qu'elle se hâte de vous l'envoier. Je n'ai pu lui en parler dans la lettre que je viens de lui écrire par ce que mon Oncle a voulu la lire et qu'il s'est chargé de la cacheter.