1754-11-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Me voilà donc, monsieur, Lugdunensem rhetor dicturus ad aram, et j'ai quitté la première Belgique pour la première Lyonnaise.
Il y a ici deux académies, mais il n'y a point d'homme comme vous; je vous jure que je vous regretterai partout. J'ai quitté Colmar bien malgré moi, puisque c'est vous qui m'y aviez attiré et vous pourrez bien m'y attirer encore. Vous trouverez bon que monsieur le premier président et madame entrent beaucoup dans mes regrets; parlez leur quelquefois de moi, je vous en prie. Je n'oublierai jamais leurs bontés. Je vous supplie encore de vouloir bien dire à monsieur de Bruges combien je l'estime et combien je le regrette. Je commençais à regarder Colmar comme ma patrie; il a fallu en partir dans le temps que je voulais m'y établir. C'est une plaisanterie trop forte pour un malade, de faire cent lieues pour venir causer à Lyon avec m. le maréchal de Richelieu. Il n'a jamais fait faire tant de chemin à ses maîtresses quoiqu'il les ait toujours menées fort loin.

Il faut que je vous dise un petit mot de notre affaire concernant l'homologation de l'acte sous seing privé de m. le duc de Virtemberg. Je pense qu'il faut attendre; il serait piqué d'une précaution qui marquerait de la défiance. Je vous écrirai quand il sera temps de consommer cette petite affaire, qui d'ailleurs n'éclatera point, et je tâcherai de conserver ses bonnes grâces. Gardez toujours la pancarte précieusement, aussi bien que celle de Shœpflin: je fais plus de cas de la première que de la seconde, et toutes deux sont bien entre vos mains. Je me flatte que vous me direz te amo, tua tueor; mais je répondrai, ego quidem non valeo.

Adieu mon cher ami, mille respects à madame Dupont. Adieu, je ne m'accoutume point à être privé de vous. Madame Denis vous fait à tous deux ses plus sincères compliments.

V.