A Potsdam, 8 juillet 1752
Si bene vales, ego quidem non valeo.
Je suis très aise, monsieur, que vous ayez soixante et seize ans, et quatorze arpents dans Paris. Je voudrais de tout mon cœur vous voir un jour à cent ans avec cent arpents; un beau jardin dans le faubourg Saint-Antoine vaut mieux que les deux coteaux du Parnasse. Jouissez de la vie, si vous pouvez, moquez vous de tout le reste, et surtout de mon médaillon. Je crois vous avoir déjà mandé autrefois que je ne suis point dignusque numismate vultus.Je pourrais bien être un visage; mais je n'en ay point. Je ne suis plus qu'une pomme cuite sur un cou de grue. Il n'y a pas moyen de donner cela à graver. Et puis, croiriez vous bien que j'ai appris dans la cour d'un grand roi à mépriser les vanités humaines! Il n'y a pas longtemps que mme la duchesse de Brunswick pria si instamment le roi de Prusse de lui envoyer sa statue (dans le goût de celle de Louis XIV à la place des Victoires) que le roi ne put la refuser. Il se fit sculpter, et voici comment: on le mit à cheval sur un coq d'Inde, et, au lieu de quatre esclaves autour de la base, il y avait quatre singes qui faisaient la grimace; vous m'avouerez qu'après cela il siérait mal aux petits d'avoir de la vanité. Si vous voulez, je vous enverrai un des singes de la statue, et on mettra mon nom au bas. Ne faisons cas, mon cher monsieur, que de la santé et du repos. Tout le reste est de la fumée, et j'ai trop couru après la fumée dans ma vie. Je vous souhaite un bonheur solide, s'il y en a.
J'ai l'honneur d'être bien sincèrement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire