à Colmar, 6 août 1754
Je vous remercie, ma chère nièce, du gros paquet et encore plus de votre lettre.
Je souhaite que les eaux vous fassent plus de bien qu'à moi. made Denis se guérit assez bien du mal qu'elle prétend qu'elles lui ont fait. Je vous écris pour elle et pour moi tout malingre que je suis.
Nous savions tout le remue-ménage dont vous nous parlez: ces nouvelles là vont vite. Vous êtes au nombre des personnes heureuses à qui tout cela est indifférent. Il y aura probablement quelque petite suite à ce changement de scène, quelque détail qui ne parviendra pas jusqu'à notre Colmar: si vous apprenez quelque chose à votre Plombières, vous nous ferez grand plaisir de nous en instruire.
Notre voyage à la Chine est achevé; nous sommes arrivés, mais la cargaison est très médiocre. Nos cinq ballots ne pourraient trouver aucun débit. Cela est trop sec, trop peu animé; il n'y a point de magot de la Chine qui ne soit plus agréable. Je suis horriblement dégoûté de ma marchandise: ce qui me console un peu c'est que vous aimez ce 3e volume. Vous voilà entre l'histoire et le roman. Vos amis vous servent dans ces deux genres; mais pour des tragédies, je crois qu'il faut que vous cherchiez ailleurs.
J'écris à m. le comte de Lorges pour le remercier de ses bontés. Je vous demande en grâce de ne lui recommander autre chose, sinon de me conserver sa bonne volonté, de vouloir bien parler avantageusement de votre serviteur dans l'occasion, et de dire simplement que les deux volumes ne sont pas de moi; que je suis malade, que votre sœur me garde; et puis c'est tout. Il n'en faut pas davantage pour le présent.
A l'égard de la terre, nous verrons si celle qu'on nous a déjà offerte auprès d'Auxerre et que nous pouvons habiter, ne vaut pas mieux que toute autre. Il faut encore supposer et espérer qu'il ne viendra point à la traverse d'événement qui dérange ce projet de retraite. Il se peut encore faire qu'une certaine puissance nommée la mort, vienne se saisir de ma maigre figure, ce qui serait un autre empêchement. En attendant votre oncle malade qui vous aime de tout son cœur, vous embrasse tendrement.