à Plombieres 6 juillet 1754
Monsieur,
Ayant eu l'honneur de vous envoyer le 3ème tome de l'essai sur l'histoire universelle, je crois de mon devoir de vous soumettre aussi la préface que je reçois dans le moment.
L'ouvrage est imprimé à la fois chez Walther à Dresde et chez Shœpfling à Colmar.
Comme Shœpfling est un libraire de France j'ose Monsieur vous demander votre protection pour luy. Il corrigera tout ce qui paraitra demander d'être reformé. J'ai cru ce troisième tome nécessaire pour ma justification. L'ouvrage entier pourait être utile. Je tâcherai d'y dire toujours la vérité avec bienséance. Mais la vérité est une chose bien délicate. Elle a besoin de vos conseils et de vos bontez. Quoyqu'il arrive, je serai toute ma vie avec l'estime et la reconnaissance la plus respectueuse
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
J'aprends de madame Denis qui arrive dans le moment que Shœpfling de Colmar a eu l'honneur monsieur de vous écrire, et qu'en vous demandant votre protection pour ce volume, il vous a mandé qu'il luy coûtait assez cher.
monsieur ce que je luy écris sur le champ à ce sujet:
J'aprends que vous avez eu le malheur d'écrire à mr de Malzerbes que vous avez acheté assez cher le manuscrit en question. Or comme Mr de Malzerbe sait que je vous en ay fait présent conjointement avec le sr Walther, et que même je vous avais prêté 20000M lt sans intérest, je crains bien que votre lettre n'ait fait un effet peu favorable pour vous etc.
Cependant monsieur comme Walther et Shœpfling ont tiré six mille exemplaires je suis obligé de vous demander grâce pour ce Shœpfling. Permettez du moins qu'une partie de son édition entre à Paris. On a déjà réimprimé en quatre endroits différents ses annales de L'empire. Je ne vous ay envoyé le 3ème tome de l'histoire que par une juste et respectueuse confiance. Je vous supplie d'y avoir égard; ne permettez pas que le livre paraisse à Paris sans la préface. Cette préface est ma seule justification. J'en enverrai incessamment la suitte. Je n'ay fait ce troisième volume que pour faire voir l'injustice que j'ay essuiée par l'édition défectueuse et subreptice des deux premiers.
Je me recommande d'ailleurs à vos bontez, mon procédé et mon malheur les méritent, je ne demande que la suspension pendant quelque temps de L'édition de Lambert d'autant plus que j'ay dédié ce volume à L'Electeur palatin, et que ce serait pour moy un nouvau malheur aussi bien qu'un contretemps très ridicule. Je vous supplie de me sauver l'un et l'autre. Je vous en auray monsieur la plus sensible obligation.