Monsieur,
C'est pour implorer Vôtre justice que je prends la liberté de vous importuner.
Le poste que vous occupéz dans la Litérature doit vous faire lire avec quelque attention ce que j'aurai l'homeur de vous exposer et la générosité de vos sentiments me fait espérer d'être écouté favorablement.
C'est de Mr. de Voltaire que j'ai à me plaindre. Je lui imprimai les Amales de l'Empire. La multiplicité des éditions qui parûrent tout à coup de cet ouvrage, lorsqu'à peine j'avois comencé à débiter la mieme, me causèrent une perte considérable. Je croyois pouvoir réparer cette perte par l'édition du Troisième tome de l'histoire Universelle, dont Mr. de Voltaire avoit bien voulû me faire encore présent, et j'apprends avec étomement qu'on imprime déjà cet ouvrage à Paris chéz le libraire Lambert et qu'il paroitra bientôt. Je n'ai pas dû m'attendre à cet échec; il me ruine par la quantité d'exemplaires que j'ai fais tirer sur les promesses réitérées de Mr. de Voltaire, et je ne puis me hâter d'en faire le débit, la préface de cet ouvrage n'étant seulement pas encore achevée.
Je suis d'autant plus à plaindre que Mr. de Voltaire ayant en même tems fait présent de ce livre à un Libraire de Dresde, il m'est interdit de débiter mon édition en Allemagne.
Mr. de Voltaire à son départ de Colmar pour Plombieres me dit qu'il avoit eu l'honneur, Monsieur, de Vous envoyer cet ouvrage pour le soumettre à Vôtre examen, et on étoit convenû de mettre sur le champ des cartons aux endroits que vous auriéz jugé à propos de corriger. Je n'ai receu aucune nouvelle du résultat de cette démarche qui paroit aboutir à faire imprimer l'ouvrage par un autre libraire.
Daignéz examiner, Monsieur, ces remontrances d'un homme qui se met sous Vôtre protection; il la mérite par la situation fâcheuse où il se trouve. L'autorité de Vôtre Charge Vous donne le droit d'arrêter d'un seul mot l'édition de Lambert, et je m'offre à faire au livre de Mr. de Voltaire tous les changemens que Vous pouvéz souhaitter. Je dois attendre cette justice d'une âme aussi noble et aussi bien faisante que la Vôtre.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect
Monsieur
Vôtre trés humble et trés obéissant serviteur
Schoepflin
à Colmar le 20e Juin 1754