Colmar, 5 avril, 1754
Mon révérend père,
M. le préteur de Strasbourg n'a point encore trouvé nos prétendues lettres imprimées qui sont très rares, … mais mme de Pompadour m'a fait savoir qu'on les lui a données et que le roi les a vues.
Pour moi, qui vis dans la plus profonde solitude, et ne sors point depuis six mois, je ne puis savoir très exactement à quel point ces lettres sont falsifiées. Je ne fais jamais de copies des miennes et je brûle toutes celles que je reçois, excepté les lettres d'affaires. Vous n'ignorez pas sans doute qu'il a eu des copies à Nancy, soit imprimées soit manuscrites. Vous sentez, mon révérend père, combien cela doit être désagréable pour vous et pour moi. Cette infidélité, qu'on nous a faite à tous deux, outrage la beauté de votre caractère et la décence de votre état; il me fait à moi un très grand tort, que ma confiance en vous et ma tendre estime ne devait pas m'attirer. Vous voyez beaucoup mieux que moi comment votre sagesse et votre bonté peuvent réparer la trahison qu'on vous a faite. Si j'osais vous proposer mon idée, je vous prierais de m'écrire seulement un mot ostensible, par lequel vous vous plaindriez en général du tort qu'on nous a fait à tous deux, non seulement en publiant nos lettres, mais en les publiant si altérées.
Je soumets mon avis à vos lumières; je ne prendrai aucun parti sans vos ordres, et je me confie aveuglément à la droiture de votre cœur, et aux sentiments dont vous avez bien voulu m'honorer.
Je présente mes respects au révérend père Lesley et je vous assure bien véritablement, mon révérend père, de celui avec lequel je serai toute ma vie,
Votre très humble et obéissant serviteur
Voltaire