1766-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je reçois la Lettre de mes anges, datée du 22.
J'envoie à Mr Le Duc De Praslin un second exemplaire du livre de jurisprudence qu'il m'a ordonné de lui faire parvenir. Je le mets dans un paquet à son adresse. J'envoie le paquet à mr Jannel avec un autre exemplaire du même livre en feuilles que j'ai reçu de Franche comté, et dont je lui fais présent.

La perte du paquet de mr Le Duc De Praslin, me fait craindre pour la Tragédie que j'avais eu l'honneur de lui envoier. Le manuscrit lui fut dépèché dans le paquet de mr Le Chevalier De Beauteville. Je vous ai envoié des corrections depuis, les unes adressées à Mr Le Duc De Praslin, les autres à mr Marin sous le couvert de mr De Sartines. J'envoie aujourd'hui au même mr Marin l'avis sur le procez des Sirven, dont les éxemplaires sont devenus très râres.

Vous voiez mes chers anges que je suis un homme éxact, quoique les faiseurs de Tragédies n'aient pas cette réputation. Mr Duclairon qui n'a fait que la moitié d'une Tragédie, n'est point éxact. Il ne serait pas mal que mr Le Duc De Praslin eût la bonté de l'engager à faire les recherches nécessaires. Je suis convaincu que c'est un nommé La Beaumelle qui a envoié à Amsterdam au Libraire nommé Schneider mes prétendues Lettres avec les additions et les notes les plus criminelles contre le roi et contre les ministres. Celà est si vrai que dans une édition d'Avignon sous le nom de Lausanne, l'éditeur dit, Nous n'imprimons pas les autres Lettres parce que mr La Beaumelle les a déjà données au public.

Ce La Beaumelle est un petit huguenot, autrefois réfugié, confiné actuellement en Languedoc, sa patrie. Il travaille toujours de son premier métier. Il avait falsifié ainsi le siècle de Louïs 14. Il l'avait chargé de notes horribles contre la famille roiale; il fut enfermé à Bissêtre où il devrait être encor. Le fou de Verberies n'était pas assurément si coupable que lui.

Mais mon alibi me tient plus au cœur. Je suis en peine de savoir si mes anges ont reçu tous mes paquets, gros et petits.

Si d'ailleurs ils trouvent le nom de Smerdis trop désagréable pour des Français, il n'y a qu'à prononcer Serdis aux deux premières représentations, après quoi on restituera au prince d'Ecbatane, fils de Cirus, son nom propre.

J'écris en droiture à mes anges toutes ces petites Lettres, afin qu'il n'y ait point de temps perdu. Je me recommande à mon ordinaire à leurs extrèmes bontés qui font la consolation de ma vie.

V.