1766-12-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Je connais, mes anges, ils ne me sauront point mauvais gré de mes corrections, aucontraire, ils seront fort aises de voir leur créature lècher continuellement son oursin.
Ils sont donc supliés de faire mettre sur la pièce toutes ces corrections par un brave secrétaire qui ne haïsse pas les vers.

Peut être ce Lundy, 1er Décembre, jour auquel j'écris à mes anges le matin, recevrai-je un mot de leur main bienfaisante, ou foudroiante.

Je leur ai déjà mandé que l'éxemplaire était parti le 19, adressé à Mr Le Duc De Praslin; que force corrections avaient suivi de poste en poste; que j'avais envoié à Mr Jannel un nouvel éxemplaire du commentaire sur les délits pour Mr Le Duc De Praslin. Enfin, j'ai fait mon devoir à chaque courier. Hier je fis lire la pièce au coin de mon feu, à Cramer, non pas à Philibert Cramer le prince, mais à Gabriel Cramer le Marquis; lequel est très bon acteur, et sent ce qui doit faire éffet. Il a pleuré et frémi.

Mais ce qui me fait frémir moi, c'est que les Comédiens de Paris vont jouer les Suisses, et que mes Scithes venant après, ne paraîtront qu'une copie; je perds à la fois le piquant de la nouveauté et l'agrément de mon alibi. Voilà probablement bien de la peine inutile.

Aureste, mes anges, vous serez farcis de pièces nouvelles cette année. Vos plaisirs sont assurés; mais moi, misérable je n'ai d'autre consolation que celle de chercher à mériter vôtre suffrage.

Enfin donc, nous allons avoir le mémoire pour les Sirven. Je recommande cette véritable Tragédie à vos bontés.

Respect et tendresse.

V.