1754-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Voicy ma chère enfant deux exemplaires du 1er tome des annales de L'empire.
Il y en a un pour mr Dargental, vous donnerez l'autre à qui vous voudrez. J'ay bien peur que ce livre un peu sec ne soit bon que pour des Allemans. Mon cœur s'occupe bien plus de votre santé et des agréments de votre vie que mon esprit ne s'est appesanti sur les anciennes affaires d'Allemagne et d'Italie. Je prévois que je n'aurai pas sitôt la consolation de vous revoir. On ne voudra pas que je vienne me faire traitter à Paris de la maladie qui me mène au tombeau. Il n'y a pas de moyen de quitter àprésent Colmar pour aller chercher une campagne inhabitée au milieu des neiges. Ma situation est de touttes façons plus cruelle que vous ne pensez. Mais portez vous bien, et j'auray quelque consolation. J'ignore ma chère enfant si vous avez écrit à madame de Pompadour, et à mr Dargenson en conformité des lettres que je leur ai adressées et que vous avez aprouvées.

Je me sçais bien mauvais gré de vous écrire un si petit billet, mais j'ay vingt paquets à faire et la poste va partir. Vous recevrez ces maudittes annales d'un maudit pays par mr Bouret qui m'a envoyé le second tome de l'histoire universelle. Je m'imagine que c'est de votre part. Mandez moi je vous en conjure, ce que vous faites, ce que vous comptez faire, et surtout comment vous vous portez.

Je ne prends encor d'autre parti que celuy d'opposer encor quelque patience à ma funeste situation. Je vous embrasse tendrement.

V.