Paris, 3 janvier [1754]
Monsieur,
Je vous offrirais avec empressement les vœux que je fais pour vous, si je ne me flattais que vous ne doutez pas que je n'en fasse de très ardents et par inclination et par reconnaissance.
M. de la Condamine m'a lu un article de votre lettre sur ma réponse à Voltaire: elle est faite cette réponse et faite depuis longtemps: mais quelque modérée qu'elle soit, je doute que m. de Malesherbes, qui en a voulu être lui même le censeur, m'en permette l'impression. Il me semble qu'on craint Voltaire encore plus qu'on ne le méprise. Et j'ai vu là dessus dans le littéraire et dans le grand des choses d'une bassesse étonnante. Cela est au point qu'un de nos meilleurs esprits tremble, qu'à Colmar on n'imprimât contre lui s'il s'ouvrait un peu, comme si Voltaire pouvait détruire des ouvrages d'un vrai profond. Il y a même de nos amis qui condamnent les traits les plus forts et les meilleurs de ma réponse, comme si ne disant jamais rien de l'homme, il ne m'était pas permis de dire tout ce que je pense de l'auteur. On croit encore qu'il y a de la partialité à dire qu'il est le plus bel esprit de France, mais que ses ouvrages sont pleins de traits de petit esprit. Enfin je suis très embarrassé. Je voudrais lui porter un coup dont il ne se relevât point, et je prévois que je ne ferai que l'égratigner. Je vous envoie, monsieur, une lettre que je voulais répandre dans le public, lorsque je me proposais de faire imprimer en Allemagne ma réponse, j'ai pris la liberté d'y parler de vous. Je vous prie de m'en dire votre sentiment comme si vous n'y entriez pour rien. Peut-être serai-je réduit à ne publier que cela. Je vous enverrai, m., quelques morceaux de ma réponse si vous en êtes curieux. Il n'y a rien de nouveau ici, à moins que cette bagatelle qui ne paraît que d'aujourd'hui ne soit quelque chose. L'Histoire universelle ne fait pas fortune. Il me semble que le premier volume est bien mauvais. On m'a dit beaucoup de bien du second. La cessation de la conservation et du présidial de Lyon embarrasse fort ceux qui ont des idées si justes sur le droit de l'autorité royale. Il faut espérer qu'on mettra à la raison ces gens mécontents de ce qu'ils appellent si injustement le gouvernement ministériel. Je suis très respectueusement, m., votre très humble….
La Beaumelle
Chez un bijoutier, rue de la Feronerie.