entre deux montagnes 14 octobre [1753] partira quand poura
Numéro 7, 8 et 9 arrivent tout à la fois ma chère enfant.
L'avanture de madame Daurade, me perce le cœur. Cherier m'écrit qu'il se faisait mille chimères agréables. Un instant a tout détruit. Que cette perte prématurée serve du moins à resserrer les nœuds qui unissent leurs cœurs et qu'ils se tiennent lieu l'un à l'autre de ce qu'ils ont perdu.
Quant à la terre dont vous me parlez, votre volonté soit faitte. Vous voulez donc ma chère enfant avoir soin de mes vieux jours. J'ay bien peur que vous n'ayez à faire à un méchant malade. Le bout de mes doigts et le bout de mes pieds me font de la peine. Je ne sçai ce qui se passe à ces deux bouts, mais je serai bientôt à bout, et je verrai le bout des choses. Ma chère enfant tout me plaira avec vous, et j'attendrai alors très doucement la fin de cette platte carrière.
Je m'occuperai en attendant de cette histoire malgré le malheur qui m'arrive d'être prévenu. Elle n'est pas tout à fait dans le goust du président Henaut. Elle est plus suivie, plus liée, et je crois que le fonds en est plus grand et plus intéressant. Ce que Dalemberg apelle les étrennes mignonnes du président est fait pour être consulté, mais il est impossible de lire cet ouvrage de suitte. Je voudrais avoir son exactitude en y mettant un peu plus d'art et d'éloquence et nourrir l'esprit avec la mémoire. Je vous supplie encor de m'envoyer contre signé sous l'envelope de Shœfling le jeune à Colmar tout ce qui est imprimé de cette nouvelle histoire cronologique d'Allemagne chez le libraire Herissant, rue st Jacques. Cet ouvrage paraîtra peutêtre dans un mois, et vous pouvez m'en procurer les prémices par monsieur de Malzerbes.
Je prévoi que puisque le bruit se répand que je travaille sur le mesme sujet on s'imaginera d'abord que ce livre imprimé chez Herissant est de moy. On me fera trop d'honneur. Je vous ay déjà mandé qu'il est d'un jeune homme qui a été secrétaire du comte de Loos. Il se nomme Fefell, il est de Colmar, et je l'y ay vu en dernier lieu à son passage. Cet homme n'a pas la mine d'être un Tite Live, mais il pourait bien être un pd Henaut. En un mot envoyez moy je vous prie sa besogne. Je mérite cette petite bonté de Monsieur de Malzerbe puisque voicy le testament que je vous confie pour luy. Vous ne soufrirez pas sans doute qu'on en prenne jamais de copie. On travaille toujours à l'exemplaire que vous m'avez demandé. Cela sera un peu plus long. La lettre du moine m'a été envoyée telle que vous l'avez lue. Je n'y prends ny n'y mets, et je m'en lave les mains.
Ecrivez moy toujours à mr Shœfling le jeune sans autre cérémonie. Il sait bien à qui il faut rendre les lettres. Il y a une bénédiction sur la poste puisque les lettres me sont rendues dans mes montagnes. Les déserts de la Tebaide n'approchent pas de l'endroit où je suis. Je voudrais du moins y jouir d'un peu de santé, mais je n'en ay point, et j'ay pour toutte consolation ma patience.
Je crois que la tentative de nos deux belles princesses s'en ira en fumée. On exigeait de moy des démarches que je ne veux point faire. Tout ce qui me fâchera ce sera de mourir avant d'avoir vu st Pierre de Rome et la ville souterraine. Mais si je meurs entre vos bras je serai consolé.
Je vous prie ma chère enfant d'envoyer ce billet à ce chien de lambin, de Lambert.