1753-10-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Je suis pénétré de regrets madame.
Vous et madame de Brumat vous me faittes passer de mauvais quarts d'heure. J'écris peutêtre fort mal le nom de votre amie, mais je ne me trompe point sur son mérite, et sur le plaisir que j'avais de venir les soirs de ma solitude dans la vôtre jouir des charmes de votre société.

Je suis arrivé si malade que je n'ay pu aller rendre moy même votre lettre à Monsieur le premier président. Que dittes vous de luy madame? Il a eu la bonté de venir chez ce pauvre affligé. Il m'a amené son fils ainé qui paraît fort aimable et qui n'a pas l'air d'être paralitique comme son cadet. Je passe une page par ce que mon papier boit, et qu'il n'y a pas moyen d'écrire sur ce vilain papier. Cela vous épargne une longue lettre. On dit que le ministère n'est pas disposé à rendre à M. de Klinglin la justice que nous attendions. Je veux douter encor de cette triste nouvelle. On dit que Mr votre fils revient. Quand pourai-je être assez heureux pour voir le fils et la mère? Il me semble que je voudrais passer le reste de mes jours avec vous dans la retraitte. La destinée m'y avait conduit, et mon cœur ne veut pas la démentir. Adieu madame, je suis pour toujours à vos ordres avec le plus tendre respect.

V.