Monsieur,
Depuis ma lettre écrite, j'ai reçu des nouvelles de la Cour de France, et on m'attend dans ma patrie.
On y est un peu étonné que les Passeports du Roi ayent été si peu respectés par les sieurs de Freytag et Schmidt. Le Roi de Prusse en est très-indigné. Il a mandéà son Envoyé en France, que les dits sieurs avaient abusé de ses Ordres, et avaient donné une scène à l'Europe dont il est très-fâché: ce sont ses propres mots, et on ne devait pas attendre moins d'un Prince si grand, et si juste. Je vous supplie, Monsieur, de montrer cette Lettre au Conseil, et même au sieur Schmidt. Je me flatte, Monsieur, que vous ne me laisserez pas partir pour la France, sans avoir la bonté de me faire rendre l'argent que le sieur Schmidt a pris dans mes poches. Rien n'est assurément plus digne de vôtre Place, et de vôtre équité.
Il serait à la vérité bien étrange que nous payassions les frais d'un emprisonnement si cruel et si odieux, fait au nom du Roi de Prusse, et désavoué par lui. Mais je m'en rapporte, Monsieur, à vôtre prudence, et à vôtre esprit de conciliation.
Comme on a abusé de votre propre nom, pour commettre des véxations si violentes, vôtre gloire autant que la bonté de votre cœur vous portera à la réparer; et je partirai du moins un peu consolé par la justice que vous m'aurez renduë.
Je serai avec une respectueuse reconnaissance,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire chambelan du roy de France
Mayence ce 24e Juillet 1753