1753-07-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Carl von Fichard.

Monsieur,

Je suis persuadé que les excès commis à Francfort, et l'abus cruel qu'on a fait du nom du Roi de Prusse, ont excité dans Vous des sentimens de douleur et d'indignation, comme dans toute La Ville, et dans tous les environs.
Je sens que d'ailleurs il se peut que sa Majesté Prussienne ne veuille pas faire à ceux qui ont passé ses ordres, une réprimande qui leur ôterait tout crédit, et qu'il y a des occasions où il vaut mieux savoir souffrir, que de s'obstiner à demander justice. Je ne vous demande donc, Monsieur, que vôtre conciliation, et vos bons offices, pour nous faire rendre au moins L'argent que le sieur Schmidt a pris dans nos poches à mon secrétaire, et à moi. Je suis persuadé qu'il ne tient qu'à vous, Monsieur, de finir cette affaire en lui parlant; elle est trop injuste, et trop criante, pour que le sieur Schmidt ne se rende pas à vos remontrances, et à vos bons offices. Vous pouriez aussi, Monsieur, régler à l'amiable les frais d'une prison injuste, qu'on fait monter trop haut. On nous a traités d'une façon bien cruelle. Vous sentez que du moins il est impossible que le Roi de Prusse aprouve la prison de ma nièce. Vous étes trop honnête homme, et vous aimez trop la gloire de vôtre ville, pour ne pas vous rendre à ma prière. Le sieur Schmidt n'aurait qu'à vous remettre l'argent, ou à Mr. Harscher, ou à Mr. Metzler, qui me le feraient tenir. Je n'attends que cet argent pour partir. Vous auriez, Monsieur, la satisfaction d'assoupir en partie une affaire, qui ne cause à bien des personnes que de l'embarras et du chagrin. Je sentirais quelque consolation en vous dévant cette justice.

J'ai l'honneur d'être avec des sentimens respectueux,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhome ord. de la chambre du roy de France