1753-06-23, de Marie Louise Denis à Charles Nicolas de La Touche.

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien rendre ou faire rendre cette lettre à cachet volant en main propre au roi de Prusse.
Je crains que mes lettres ne lui soient pas rendues. Vous verrez par le contenu, qu'il est bien essentiel qu'il soit instruit. Je me meurs, je ne peux vous écrire de ma main. Mon oncle, aussi malade que moi, se recommande à vos bontés.

Denis

Depuis ma lettre écrite, on me dit que je suis encore prisonnière. Je suis dans les convulsions de la mort. Je vous supplie d'obtenir la miséricorde du roi, et de lui faire considérer que lorsque mon oncle a pris le parti de vouloir sortir le 20, tout ce que le roi lui marquait par ses ordres était fait; que mr Freytag et mr Scmidt avaient la grande caisse où était le livre que sa majesté redemandait; qu'ils avaient toutes les lettres du roi qui s'étaient trouvées dans les papiers de mon oncle et qu'enfin nous ne savions plus ce qu'on nous voulait; si malgré toutes ces raisons le roi trouve que le départ de mon oncle a été trop précipité, jetez vous à ses genoux pour le prier de lui pardonner et assurez le de sa soumission envers le roi, de son respect et de son attachement qui ne finira qu'avec sa vie.

Nous avons affaire ici à des gens qui pensent que plus ils nous tourmentent et plus ils font leur cour à sa majesté prussienne, et je suis bien sûre qu'ils n'agissent pas selon les intentions du roi en qui nous mettons toute notre espérance et toute notre confiance. Je suis venue de Paris exprès ici, monsieur, pour tâcher de rendre à mon oncle la santé et pour chercher à tout concilier, surtout à l'empêcher d'écrire contre Maupertuys parce que je sais que cela déplaît au roi. Il m'a tout promis; et le roi verra actuellement qu'il ne fera pas un pas ni une seule démarche qui puisse jamais lui déplaire. Je n'ai pas osé parler encore au roi de tout ce que je vous mande. Milord Marschal connaît mes sentiments et je puis vous jurer que je donnerais tout ce que je possède dans le monde, pour que le roi voulût pardonner à mon oncle et lui rendre sa protection; je compte sur votre amitié et j'espère que vous ferez tout ce que vous pourrez pour obtenir la miséricorde du roi: je vous en aurai la plus vive obligation. Mes malheurs ne sont rien et je les oublierai tous, si le roi veut bien oublier tous les torts de mon oncle et lui pardonner. Adieu, monsieur, je ne peux vous en dire davantage, car je me sens fort mal dans ce moment-ci.

Depuis cette lettre écrite, m. de Voltaire, qui de son côté est au lit très malade, et qui ne peut écrire, joint sa prière à celle de madame Denis. Il compte sur les bons offices de son excellence les plus prompts et les plus pressants, et le supplie instamment de faire parvenir au roi la lettre de madame Denis à sa majesté.