1752-07-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Anton Corfiz von Ulfeld.

Monsieur!

Ma profession d'homme de lettres dans laquelle je me suis toujours renfermé à la cour du roy de France, et à celle du roy de Prusse, m'a fait un citoien du monde, idolâtre du mérite partout où il est; je me souviens que du temps du cardinal de Fleuri on nous disait des choses si admirables de la grandeur d'âme de S. M. l'impératrice reine que je m'avisai tout au beau milieu de la guerre de faire des vers pour elle, et on disait que c'étoit les moins mauvais que j'eusse jamais composez.
Je ne m'attendais pas qu'un jour je dusse joindre les sentiments de la reconnoissance à ceux de l'admiration.

Permettez, monsieur, que j'adresse à votre excellence mes très humbles remerciments. J'ay espéré quelque temps de pouvoir un jour vous faire ma cour. Je ne voulais pas mourir sans avoir vu l'objet des respects et de l'estime de l'Europe, mais les maladies et la vieillesse réduisent à admirer de loin. Du moins elles n'ôtent rien à la sensibilité que les bontez de leurs majestez impériales excitent dans mon cœur.

Je suis bien aise monsieur que ce soit monsieur votre père et non pas vous qui ait commandé dans Barcelone. Cela me fait espérer que vous rendrez plus longtemps service à votre patrie. Je souhaitte les plus longues années à leurs majestez et à un ministre si digne d'elles. Je n'ose vous supplier de me mettre à leurs pieds.

Je suis avec respect

Monsieur

de votre excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire