à Sans Souci ce 14 juillet [1752]
Je suis bien aise madame que Le livre des pensées funestes n'existe pas.
J'aurais cru que quelque anglais prest à se pendre aurait composé cet ouvrage. D'ailleurs comment aurai-je pu le lire à Sans Souci? il n'y a icy que des idées riantes. C'est le palais des fées quand le maître de la maison n'y est pas, c'est le palais des dieux quand il y est. Mais les dieux ne boivent que du nectar et ne prennent point les eaux d'Egra. Je ne sçai ce que c'est que l'amusement de la raison. Voylà un singulier titre, mais il annonce deux fort bonnes choses, car il est certain qu'il faut être raisonnable et qu'il faut s'amuser.
Il y a quelque chose de plus nécessaire, c'est L'amitié. Les deux bons amis dont vous me parlez vous dédommageront de touttes vos tribulations. Si vous faites jamais un catalogue des gens inutiles qui vous sont attachez avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres je vous prie de ne me pas oublier.
En vous remerciant madame de touttes vos bontez. Je suis auprès d'un grand roy, et d'un grand homme, dans un séjour délicieux, avec toutte ma liberté, et je ne suis point heureux. Il s'en faut baucoup. Je suis loin de vous, et malade.
V.