à Potsdam 1er juillet [1752]
Je vous renvoye madame Les deux derniers cayers dont vous m'avez procuré la lecture.
Voicy ma réponse à L'autheur. Je pense qu'il peut faire un chef d'œuvre de cet ouvrage. Mais dans un pareil sujet il faut que tout soit vrai et utile.
On m'a dit qu'il y avait un nouvau livre singulier intitulé Pensées funestes. Voilà un étrange titre. J'ay bien peur que ce ne soit la devise de la vie de l'autheur qui a tout l'air d'être un fou sérieux.
Je prends la liberté de vous communiquer un manuscript qu'on m'a confié pour le faire tenir à la Haye à Mr Kœnig qui est auprès de L'embrion de Stadhouder à la Haye. On voudrait aussi le faire imprimer dans quelque journal de Hollande ou d'Allemagne. Je n'ay dans ma solitude aucun commerce avec les journaux ny avec Kœnig. Je m'adresse à vous madame. L'ouvrage me paraît digne de votre protection et du public. Il est modéré, il est vray dans tous ses points. Je le recommande à vos bontez, à votre discrétion et à L'amitié dont vous daignez m'honorer. Le plaisir de vous écrire suspend tous mes maux. Celuy de vous voir opérerait ma guérison entière. Comment ne serais je pas attaché à une âme aussi noble et aussi éclairée que la vôtre?
Vous pouriez envoyer par Minden les deux exemplaires du manuscript dont je mets la destinée dans vos mains respectables en faisant adresser l'un de ces exemplaires à Mr Kœnig à la Haye, et l'autre au libraire qui imprime le journal des savants à Amsterdam. Si L'ouvrage vous plaisait, si vous le trouvez utile à quelques égards ne pouriez vous pas le faire copier, et le faire envoyer aussi en d'autres endroits? Ce serait un amusement pour vous, et plus d'une personne serait bien aise de voir ce manuscrit publié. Je compte bien que jamais on ne saura que j'ay eu l'honneur de vous l'envoyer. Si vous aviez les pensées funestes voudriez vous bien me les prêter? Elles doivent convenir à un homme qui souhaittant passionément de vivre à vos pieds est toujours loin de vous.