1737-03-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis de Jaucourt.

J'ay emporté monsieur le regret d'avoir si peu profité de l'honneur de vous connaitre, et l'espérance que vous voudrez bien avoir quelque bonté pour cet enfant assez déguenillé que j'ay laissé chez Ledet.
Le père vous en aura obligation toute sa vie. Je compte que le Det vous envoye les feuilles, et que vous voulez bien Les faire tenir à mr du Faÿ qui nous les rendra.

Quand il y aura quelque livre nouvau qui vaudra la peine d'être lu voulez vous bien monsieur me faire la grâce de m'en instruire? On dit que les jesuites dans leur journal de Trevoux ont fait un extrait bien révoltant de la téodicée. Je n'ay point vu ce journal mais je sçai qu'en général ces prétendus tirans de la république des lettres réussissent fort mal auprès de ceux à qui ils veulent imposer des loix, et qu'on regarde leur journal, comme des édits que le roy Stanislas donneroit en Pologne ou le prétendant à Londres. Vouloir dominer sur les esprits, et n'avoir pas la force, c'est à dire la raison de son côté, est une grande misère. Je sens que j'aurois bien volontiers vécu sous votre domination si j'avois resté plus longtemps à Amsterdam. Permettez moy d'assurer icy de mon estime, de mon amitié, et de mes regrets Mrs Tronchin et du Breuil. Je vous suis déjà trop attaché monsieur pour me servir des misérables formules qui ne signifient rien.

V.

Mon adresse est toujours à mr Excellmans Dartigni négotiant à Bar Le duc.