1735-12-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

La datte vous fera voir que je n'ay pas le temps de vous écrire une longue épître.
On vient de m'avertir que plusieurs chants de la pucelle courent dans Paris. Ou c'est quelque poème qu'on met sous mon nom, ou un copiste infidèle a transcrit quelques uns de ces chants. Dans l'un ou dans l'autre cas, il faut que je sois instruit de bonne heure de la vérité. Je vous jure par la vérité que vous me connaissez que je n'ay jamais prêté le manuscript à personne, puisque je ne l'ay pas prêté à vous même. Si quelqu'un m'a trahi, ce ne peut être qu'un nommé Dubreuil, baufrère de Demoulin, qui a copié l'ouvrage il y a six mois. Mr Rouillé prétend qu'il en court des copies. Voyez, informez vous, que votre amitié se trémousse un peu. Il est d'une conséquence extrême que je sois averti. Il faudra enfin que j'aille mourir dans les pays étrangers. Mais en récompense Les Hardions, Les Danchets etc. prospèrent en France.

J'avois commencé une tragédie où je peignois un tablau assez singulier du contraste de nos mœurs avec les mœurs du nouvau monde. On a dit il y a quelques moi mon sujet au sr le Franc. Qu'a t'il fait? Il a versifié dessus, il a lu sa pièce à nos seigneurs les comédiens, qui l'ont envoyé à la révision. Le petit bon homme est un tantinetto plagiaire; il avoit pillé sa pauvre Didon tout entière d'un opéra italien de Metastasio. Mais il prospèrera avec les Danchets et les Laserre, et moy j'iray languir à la Haye ou à Londres. Adieu. Réponse, et prompte.

V.