Potsdam 19 may [1752]
Jamais madame les maladies cruelles dont je suis accablé n'ont tant exercé ma patience que dans cette occasion.
C'est peu de ne trouver nulle ressource ny dans les médecins ny dans la médecine ny dans le climat. Je suis privé de la plus grande consolation qui pût adoucir l'amertume de ma vie. Je suis éloigné de vous, et j'ignore quand mon triste état me permettra d'aller à Berlin. Je souhaitte sans trop l'espérer que vous puissiez avoir cette conversation que vous désirez. Je souhaitte quand vous l'aurez eue, qu'elle puisse avoir un effet plus favorable, que celle à laquelle vous forçâtes une fois à Potsdam un homme invisible.
Il me parait que M. le Comte de Linar, qui est votre ancien ami, pourait plus que personne disposer les choses en Dannemark à un accomodement tel que vous le souhaittez. Mais il m'a semblé que luy même vous conseillait dans une lettre que vous m'avez montrée, d'accepter à peu près les conditions qu'on veut icy stipuler pour vous. Ce sera à vous madame à faire entrer monsieur le comte de Linar dans vos vues, et ce serait peutêtre votre meilleure ressource. Vous avez sans doute besoin d'ajouter la triste vertu de la patience à touttes vos autres belles qualitez. Pour moy je vois avec une impatience bien douloureuse combien je vous suis inutile. C'est une chose cruelle qu'un attachement si grand et si stérile.
J'ay pris une extrême liberté avec l'autheur inconnu du manuscrit, mais il faut qu'il l'impute à L'admiration qu'il m'a inspirée, et à L'intérest que je prends à son ouvrage. Il est meilleur juge de mes pensées que je ne le suis des siennes, et je luy soumets touttes mes remarques en luy réitérant les assurances de l'estime la plus sincère.
Oserai-je madame vous supplier d'envoyer à mr le Baillif ce petit billet tout ouvert que vous pouriez cacheter et de le luy faire rendre par un homme qui ne dît point qu'il est à vous. J'eus l'honneur de vous écrire un mot le surlendemain de votre voiage à Potsdam. J'écrivis aussi à M. le Bailif pour luy demander la même chose que je lui demande aujourduy. Mes billets n'étaient cachetez qu'avec un petit pain. J'ignore s'ils ont été reçus. Vous ne m'avez pas accusé la réception de votre billet, et Baillif ne m'a pas répondu. Je vous suplie de ne me point envoyer la réponse de Bailli au billet cy joint s'il en fait une, mais de m'écrire seulement si Les deux billets précédents ont été reçus. Je prends cette précaution pour ne vous pas compromettre par la poste. Je ne crois pas que Baillif ait rien à me mander dont je puisse faire usage, puisque sur son silence j'ay pris le party de répondre à M. le maréchal de Richelieu par une autre voye que la sienne. Je veux seulement savoir si ma lettre luy est parvenue, et vous n'aurez en ce cas qu'à me faire savoir par la poste que mes lettres ont été reçues. Ce sera encor une occasion d'avoir de vos nouvelles. Il n'y a pas d'apparence que je voye les fêtes, ma seule fête serait de soufrir moins et d'avoir l'honneur de vous voir.
V.