1752-05-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je m'abandonne à votre probité et à votre amitié madame.
J'obéis aveuglément aux ordres que vous m'avez donnez de vous instruire de la manière dont on pense. On est fâché n'en doutez pas, de ce que vous ne vous prêtez pas à un accomodement, jugé raisonable par tous ceux qui ne regardent pas votre affaire avec les mêmes yeux que vous. Il parait qu'on souhaitte cet accomodement, qu'on le regarde comme son ouvrage, qu'on est piqué de votre résistance et il m'a paru qu'on soupçonnait que le but de votre voiage à Potsdam avait été de venir vous affermir dans vos refus. Je ne vous dissimule point que ce voiage a fait un effet désagréable pour vous, et dangereux pour moy. Vous savez cependant si je suis coupable de vous avoir donné des conseils contraires aux vues qu'on a dans cette affaire. Je fais bien des vœux pour votre bonheur. Je ne vous donne aucun conseil, et je suis affligé que vous vous prépariez des embarras et des inquiétudes. Je vous avoue que je tremble que tout ceci ne finisse d'une manière bien triste, votre état me fait une peine extrême. Si vous pouviez quelque jour venir à Charlotembourg chez made de Brant je tâcherais de m'y rendre. Mais je ne peux faire un pas sans être observé de tout le monde et il m'est impossible d'aller à Berlin. Cependant pour qui ferait on L'impossible si ce n'est pour vous!

On vient de me dire une étrange chose qui redouble mon dégoust pour Berlin. La Métrie avait fait une espèce de sermon philosofique dont je crois qu'il avait tiré quelques exemplaires. J'aprends que cet ouvrage court imprimé et manuscrit, et qu'on a le front de me L'imputer. Cette calomnie pourait me perdre dans l'Europe et surtout en France. Je vous demande en grâce d'employer votre prudence, votre éloquence et la chaleur de votre âme généreuse pour empêcher qu'on ne me confonde avec un la Métrie. Mon dieu que votre vie et la mienne sont mêlez d'orages! où est le port où je pourais goûter le repos auprès de votre belle imagination et de votre âme charmante!