ce 28 [November 1751]
Je vous remercie bien tendrement madame, de la bonté que vous avez eue de vous informer d'un homme dont vous savez qu'il m'importe que la conduitte soit reconüe.
J'aurais sur cela bien des choses à vous dire; mais je remets tout au temps où j'auray le bonheur de vous faire ma cour, et même de ne la faire qu'à vous, car je compte voir bien peu de monde à Berlin. Je pense que vous n'avez pas tiré grand party de la Baumelle. Il est médiocrement instruit de vos affaires de Dannemark. Il ne mérite pas les glorieux soupçons que la prétendue bonne volonté de la reine pour luy, avait répandus. Il en est bien loin, mais il mérite baucoup qu'on se défie de son caractère et de sa conduitte. S'il a l'honneur de vous rendre ses respects, je vous prie de luy dire que j'ay pris seul son party à Potsdam quoyqu'il ne m'ait pas donné lieu d'être de ses amis. Je dois me défier baucoup de luy, mais il serait bon qu'il se fiât un peu à moy. Il y gagnerait s'il voulait être sage et honnête homme. C'est une petite négociation qu'on peut faire avec quatre ou cinq paroles placées à propos si vous rencontrez cet homme.
Je vous ay très bien entendue madame quand vous m'avez écrit qu'Algaroti n'est pas aussi discret qu'aimable. C'est moy qui sans être l'aimable ay été l'indiscret. Je luy lus quelques articles d'une lettre charmante que je venais de recevoir de vous. Vous pensez bien que je ne lus pas tout, et que je ne trahis pas de petites confidences que vous aviez la bonté de me faire. Mais mon entousiasme luy fit part, de plusieurs traits qui luy firent croire que je luy lisais une lettre de madame de Sevigné. Il n'a pu s'empêcher de vous dire combien il fait cas de votre esprit. C'est une bonne fortune que nous avons partagée ensemble et dont il s'est vanté à vous. C'est un admirateur de plus que vous avez. Adieu madame, songez que vous allez avoir aussi un malade de plus. Il vous faut des esprits qui entendent le vôtre, et des malheureux que vous consoliez.