1751-08-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Point de guerre lundy madame, du moins cela est ainsi résolu jusqu'à présent.
Le roy d'ailleurs â, ou parait avoir un peu de goutte, mais ne me citez pas. Ne me citez sur rien, et croyez qu'en tout je vous suis attaché jusqu'au dernier moment de ma vie. Quand je vous écrivis ces jours passez et que je vous fis mes compliments sur le succez de vos affaires, je ne parlais que d'après un homme qui doit être instruit de ce qui se passe en Dannemark, et qui probablement en sait plus que vous. Depuis ce temps il ne m'a point parlé de vous madame, mais je le croi très bien intentioné. Mr de Rotembourg ne néglige pas les occasions d'affermir la bonne volonté qu'il paraît avoir pour vous. Mais il y a dans le monde un homme d'un esprit d'ailleurs si doux et si conciliant, un homme si sociable, si tendre, si bon amy. Vous le connaissez. Il s'est déchaîné contre vous d'une manière affreuse. Cela est horrible. Je ne vous en dis pas davantage. Si vous le rencontrez tenez vous sur vos gardes. Il a surtout tourné en ridicule votre empressement à venir aux manœuvres de guerre. Si vous aviez quelque chose de pressé à me dire, vous pouriez venir au marquisat et m'envoyer chercher. J'irais vous y parler. Mais si cela peut se différer, je crois qu'il serait mieux d'attendre notre retour à Berlin. Nous y serons dans six ou sept jours. Ne dites à personne que vous m'ayez écrit, ny que vous soyez avec moy dans la moindre liaison. Cela est absolument essentiel pour que je vous sois utile. Le comte de Rotembourg part dans deux jours pour son régiment. S'il y avait quelque service à vous rendre d'icy au 21 du mois, envoyez moy un exprès. Adressez moy les mémoires que vous voudrez, mais qu'aucun ministre, aucune personne au monde ne s'en doute. Je vous suplie de garder cette lettre, et de la brûler quand je vous feray ma cour; il ne faut pas qu'il reste le moindre vestige qui puisse découvrir que j'ay pu vous servir. Ce sera une bonne fortune pour moy qui doit être voilée du plus profond mistère. Le moindre soupçon nous serait fatal à tout deux. Je ne vous ay jamais trompée. Je suis un peu au fait du pays. Croyez moy, et surtout croyez que vous avez en moy un serviteur passioné.

V.