1751-05-25, de Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck à Voltaire [François Marie Arouet].

Voici, Monsieur, la Copie de la Corde que je me suis mise au Col, par les mains de la reconnoissance.
Quand Elle m'étrangleroit je n'en serois pas moins convaincue qu'elle a été tissue par les mains de l'amitié.

Enfin je n'ay guerre fait une démarche plus en tremblent, et avec plus de gratitude pour celuy qui a réussi à pénétrer mon cœur de sencibilité, sans pouvoir Convaincre mon Esprit. J'ay cru à vous, dans cette occasion cy, Monsieur, comme les Théologiens veulent que l'on Croye aux mistères, voyons si vous me mènerez au paradis comme eux. Je le souhaitte.

Aprésent que je vous ay donné cette petite preuve de confience qui est peut estre la plus grande que je puise donner, puis je me flater que vous rendrez justice à ma façon de penser, et que vous voudrez bien en estre le garent auprès du Roy? Je mériterois peutestre la sienne si j'avois l'honneur d'estre Conüe de luy, et s'il m'abandonne il aura abandonné une personne qui toute intéressée qu'elle estoit à obtenir son appuy, l'aimoit cependent véritablement et sans intérest. Pour un aimable particulier tel qu'il l'auroit esté assurément sans la Couronne, ce n'auroit esté qu'une bagatelle de se faire aimer ainsi, mais pour un Roy, je vous assure qu'il y a plus de difficulté d'estre aimé qu'il ne se l'imagine.

Bonsoir. Je suis ivre, je m'étourdis sur ce que j'ay fait. Une première signature imprudente m'a perdüe en 1740. Une seconde, qui ne l'est peutestre pas moins me sauveroit Elle en 1751? On ne sçauroit échaper à sa destinée. La mienne est d'estre redevable au vray mérite, si vous me tirez de ce bourbier, et encore vit on!

Copie

Je suplie Mr le Comte de Tyrconnell, Envoyé du Roy de France, de vouloir bien interposer ses bons offices, conjointement avec ceux de Mr le Ct de Podwills pour que les terres principales de ma maison puissent me demeurer, à des Conditions convenables à toutes les parties intéressées, et s'ils ne peuvent me faire obtenir ces Conditions je les suplie de vouloir bien moyenner un accord par le quel les puissances qui ont daigné me protéger soient hors de tout Embarras, qui assure le Douaire de ma mère, le sort de mes Enfans, les droits des Créantiers, et la tranquilité de ma vie. Je me flatte que le Roy de Dannemarc sera touché de mon Estat et de ma respectueuse soubmition. J'attendray, et j'acepteray de leur prudence et de leurs bons offices, sous la protection et sous l'agrément de Sa Majesté Prussienne les Conditions qu'ils jugeront les plus convenables et les plus décentes.

C. S. B.