1749-06-15, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

Non, la plus aimable créature qui respire, non ne le croiés pas que m͞e de B. ni persone au monde puisse me retarder d'une minute.
Ie v͞s assure que ie v͞s sacrifie ma santé, mais que tout ce que ie refuse, tout ce que ie ne fais pas, ne sont pas des sacrifices, il faut en vérité que ie sois de fer, mais l'amour me donne bien du courage. Ie v͞s adore, et ie suis déuorée de l'impatience la plus viue, ie me flatte toujours de partir. M. Cleraut n'était point de moitié de mon projet du 16, et il est démontré impossible, mais ie me flatte qu'il sera peu retardé. Il est important que ie finisse mon liure, mais voilà la dernière fois de ma vie que i'aurai quelque chose à faire qui ne sera pas vous. I'ay déjà dit à m͞e de B. que ie ne comtois pas reuenir ici que par des circonstances impréues, mais des voiages tous les ans de pure société. Ie croirois que ie le pourois, i'en suis bien éloignée et ie voudrois paser plusieurs années de suite auec v͞s en Loraine. Ie ne m'embarraserois guères d'être oubliée, ie v͞s le jure, ie v͞s le répète, ie ne connois qu'un bonheur, c'est de passer tous les momens de ma vie auec v͞s, quand v͞s m'aimés, ou du moins quand v͞s me le montrés. V͞s enflammés mon coeur et ie ne vois plus que v͞s dans la nature, votre coeur charmant tel que v͞s me le montrés dans vos deux lettres que ie viens de receuoir à la fois est p͞r moi la piere prétieuse de l'éuangile. Ie veux tout sacrifier p͞r en joüir, p͞r le conseruer, ie m'arange p͞r ne pas reuenir ici, que v͞s ne m'en pressiés p͞r y venir auec moi, car si v͞s ne v͞s dégoûtés pas de moi par la continuité de la joüissance et par l'inaltérabilité de mes sentimens v͞s n'auriés pas sur moi le crédit de me faire v͞s quitter vn moment. Saués v͞s que quand v͞s m'aimés come v͞s m'aimés par cette poste, quand v͞s faites goûter à mon coeur le seul bonheur digne d'être désiré, i'en suis quelquefois afligée?

Ie dois acoucher dans 3 mois, et i'aurois trop de regret à la vie, mais en vérité ie ne me croiois pas asés de courage p͞r résister à mon impatience, si ie n'auais pas p͞r prix de ce que ie fais aujourdhui la certitude de ne pas reuenir à Paris que quand v͞s y viendrés, ie ne le pourois prendre sur moi, ie ne fais ici que des x x, et malgré le retard de mon départ, il me restera encore bien des choses à faire làbas. I'espère cependant dans 3 ou 4 jours pouuoir v͞s mander au juste où cela ira. M͞e B. n'entre p͞r rien dans mes arangemens, ie ne sauois ce que ie disois si ie v͞s ai mandé le contraire, ie ne m'en retournerai point auec elle quoiqu'il ariue, mais ne me parlés plus du comte, elle me respecte plus que v͞s, elle n'a pas osé m'en parler. Coment, vous seriés venu à cheval! Ie ne puis m'empêcher d'être bien aise que ce cheual nomé B. v͞s en ait empêché, car v͞s n'auriés jamais soutenu cette fatigue, sur tout par la chaleur qu'il faisoit, mais croiés que rien n'est perdu pour la sensibilité de mon coeur, mon cher amant, bonheur de ma vie, croiés que v͞s aués bien fait des choses p͞r moi que ie n'oublierai jamais, mais que pouués v͞s faire qui ne soit au desous de votre coeur qui est à mes yeux d'un prix auquel toutes sortes de sacrifices cèdent. Mon dieu que m͞e de B. a été diférente auec moi et auec v͞s! elle m'a dit de v͞s des choses qui ont pénétré et enchanté mon coeur, elle m'en étoit plus chère; elle est bien loin d'oser me presser p͞r le comte, qui ie v͞s jure est àprésent à mille lieues de penser à moi. Elle respecte mon coeur et mon amour p͞r v͞s, dont ie ne lui ai pas caché toute la violence. Elle retournera sûrem͞t ce mois cy en Loraine, et elle le pasera à Versailles, à Marli et à Vaureal, et moi ie ne sortirai de ma chambre que p͞r monter en carose. Elle est racomodée d'hier auec le vicomte, mais ils ne s'aiment guères, et ie v͞s jure que mlle Dandreselle est venue bien mal à propos. Ie crains que v͞s faites trop d'honeur à [?Y.] L. mais ie veux croire que c'est que v͞s êtes come les gens qui ont la jaunisse. Joignés donc à tout ce que votre coeur adorable sent et exprime de m'escrire régulièrem͞t et longuem͞t. Les lettres du 19 et du 24 ont été perduës puis que v͞s les aués escrit. Adieu, ie v͞s adore. Ie v͞s quitte p͞r trauailler, et ie ne v͞s quitterai plus jamais même comme cela. Si ie voulois v͞s exprimer combien ie v͞s aime, il faudroit que ie fisse des expressions qui pussent v͞s rendre les emportem͞s de mon coeur, car elles ne sont pas encore trouuées.

lundi matin

Allés à Comerci le plustost que v͞s pouvés, i'espère partir le lundi 23, ie v͞s le manderai plus positiuem͞t jeudi, et n'en parlerai par cette poste à m. du Chatelet crainte qu'il ne prit son parti de partir sans v͞s, mais c'est par la façon dont mon trauail auance que i'espère partir le 23. Tâchés que m. du Ch. vienne audeuant de moi à la campagne de l'évêque de Troyes, qui est à 2 lieues de Troies ou du moins à Bar sur Aube. Ie crois que ie mourerai de joie en v͞s reuoiant, il faudra cependant n͞s contraindre. Ie voudrois bien être à ce moment là, croiés que ie sacrifierai tout p͞r l'auancer.