à Cirey ce 4 janvier [1749]
Grand mercy de votre charmante lettre du 29 décembre.
J'étois dans la plus mortelle inquiétude. Je suis bien flatté que mon épitre vous plaise. Je l'ay corrigée depuis. Le commencement m'en paroit trop familier et trop petit.
Cela n'est pas encor trop bon, mais je veux vous faire une épitre qui soit mon petit chef d'œuvre.
L'épigramme que je vous ay envoyée est d'un lorrain, homme de baucoup d'esprit, qui étoit à la première représentation de Catilina. Il dit qu'il n'a jamais rien vu de si mauvais. L'exposé que vous m'en faites est plus modéré et plus sage. Personne en vérité n'a un goust plus épuré que le vôtre, et vous avez autant de talent que de goust. Mais mon aimable enfant ne poussez pas l'usage de vos talents, jusqu'à l'abus, ne vous excédez pas de travail jusqu'à vous donner des maux d'entrailles. C'est bien assez que j'en aye. J'ay la triste expérience que rien ne dessèche les entrailles, et ne nuit à la digestion comme un travail d'imagination. Ayez du moins de la santé pour nous deux. Que ne pui-je vous tenir à Cirey? Je ne pouray mon cher cœur vous revoir que sur la fin du mois. Ce sera le premier jour de l'an pour moy. Je ne suis pas fâché d'ailleurs de passer à la campagne le temps du fracas de Catilina.
L'affaire dont vous vouliez me parler n'est donc qu'une affaire d'argent? Eh bien si elle peut vous être utile, mandez moy ce que c'est. Les lettres sont rendues très sûrement. Nous ne sommes ny vous ny moy, ambassadeurs, on n'ouvre point nos paquets, et vous pouvez m'écrire avec confiance ce que vous pensez.
Adieu, mon cœur vous en dit mille fois plus que je ne pourois en écrire.
V.