à Cirey par Vassy ce 24 Xbre [1748]
Me voicy à Cirey ma chère enfant et j'y resterai jusqu'aux rois.
J'ay reçu en arrivant votre lettre. Vous m'annoncez une grande nouvelle en me disant que je trouveray le cinquième acte fini. Que de choses j'auray à vous dire en prose et en vers! Je vous suis bien obligé d'avoir parlé à ce Richemond. L'édition de Dresde vaut un peu mieux que la sienne. Je compte la mettre incessamment dans votre bibliotèque mais je commence à être las des mes ouvrages. Je ne m'intéresse plus qu'aux vôtres. Je serois plus content de voir votre pièce réussir, que je n'ay été flatté de tous les succez qu'on veut aujourduy me contester. Je viens de relire icy la Semiramis de Crébillon. Je souhaitte pour luy que son Catilina soit autrement fait et autrement écrit. Cette Semiramis est l'ouvrage d'un fou écrit par un sot. Il n'y a pas deux vers de suitte qui ayent le sens comun, et en général il n'y a guère de plus mauvais écrivain que luy. Cependant il se peut très bien faire qu'un mauvais ouvrage réussisse au téâtre. Nous en avons plus d'un exemple. Le temps seul règle les rangs. Il faut laisser aux erreurs du public le temps de passer, comme à un torrent.
Vous me ferez grand plaisir de me mander quel effet Catilina vous aura fait. J'auray tout le temps de recevoir icy votre lettre. Souvenez vous je vous en prie d'écrire à Cirey par Vassy en Champagne.
Voulez vous en attendant vous amuser de cette petite épitre au président Hénaut? L'aimez vous mieux que celle au duc de Richelieu? Quand vous aurez achevé vos cinq actes c'est à vous que je veux dédier la meilleure de mes épitres. Adieu, il y a du monde dans ma chambre. Je ne vous écris pas comme je voudrais. J'attends de vos nouvelles avec impatience et j'en ay encor plus de vous revoir.
V.