1749-01-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.
Vous qui de la cronologie
Avez réformé les erreurs,
Vous dont la main ceuillit les fleurs
De la plus Belle poésie,
Vous qui de la philosofie
Avez connu les profondeurs,
Malgré les plaisirs séducteurs,
Qui partagèrent votre vie;
Henaut dites moy je vous prie
Par quel art, par quelle magie,
Avec tant de succès flatteurs
Vous avez désarmé l'envie, etc.

Voylà mon illustre et charmant confrère, comment j'avois corrigé le commencement de L'épître que j'ay eu l'honneur de vous adresser, et j'allois vous l'envoyer quand j'ay reçu votre lettre. J'ay été très fâché qu'on ait envoyé des copies de ce petit ouvrage, avant que je sçusse si le héros de la pièce étoit content, et pour comble de disgrâce les copies avoient été faites par une espèce d'aide de camp qui estropie terriblement les vers. Je ne suis pas encor tout à fait content de ce commencement. Il est plus digne du public que les premiers vers qui n'étoient que familiers, mais il me semble qu'il n'est pas frappé assez fortement. J'ay bien à cœur que ce petit ouvrage soit bon, et qu'il fasse aller un jour mon nom à côté du vôtre.

Aureste les personnes qui ont condamné les soupés, me paraissent indignes de souper. C'est à mon sens la critique du monde la plus ridicule, mais les gens qui ont tort sont presque toujours les plus forts. Pour moy qui ne soupe plus, je retranche les soupés même en vers. Madame du Chastellet à qui ne je donneray plus mes vers que quand j'y aurai mis la dernière main, vous fait mille compliments. Voulez vous bien permettre que j'assure madame du Deffant de mon respect?

Je reçois aussi une lettre de vous renvoyée de Lunéville à Paris et à Cirey. Je vous remercie de tant de faveurs. Conservez moy une amitié aussi nécessaire à ma gloire, si j'en ay, qu'au bonheur de ma vie.

V.