à Lunéville en Lorraine ce 22 octobre [1748]
Je reçois votre lettre du 8 octobre.
Vous ne me parlez point monsieur du paquet que M. le prince Jablonousky vous a rendu de ma part. Mais vous m'aprenez que vous débitez déjà votre édition. Je suis fâché pour vous que vous vous soyez ainsi précipité, malgré mes conseils, et que vous ne vous soyez pas donné seulement le temps de profiter des errata des cinq volumes que je me suis donné la peine de faire pour vous, et que je vous ay fait tenir. Mais puisque cette édition est déjà en vente, il n'y a plus de remède. Vous avez fait sagement de n'en tirer que douze cent exemplaires. J'espère même que la quantité de morceaux nouvaux dont je vous ay favorisé, contribuera plus au débit, que les fautes qui y sont ne vous nuiront. Je ne doute pas que vous n'ayez eu soin pour vos intérêts d'annoncer combien votre édition est supérieure à touttes celles de Hollande, car quoy que les fautes d'impression soient considérables chez vous, elles sont en plus grand nombre dans les éditions d'Arkstée, de Ledet et autres, et vous avez sur eux l'avantage d'avoir imprimé la Henriade avec plus de trois cent vers nouvaux, et touttes les variantes en ordre, avec la belle préface de Mr de Marmontel. Vous avez une nouvelle vie de Charles douze.
La plus part des morceaux détachez de prose et de poésie sont baucoup plus corrects chez vous que partout ailleurs, et le texte y est partout rétably.
Vous avez plus de cinquante pièces détachées qui ne se trouvent dans aucune autre édition que dans la vôtre. Voylà ce que vous devez faire savoir au public et ce qui probablement vous produira un promt avantage.
Je suppose que vous avez fait usage de la petite préface instructive et sage qu'un de mes amis vous envoya l'an passé. C'est encor un nouvau mérite que votre édition doit avoir.
Je n'ay point encor entendu parler du septième tome que vous me dites imprimé en Hollande. Mais tel qu'il soit vous pouvez le désavouer en mon nom. C'est sans Doute un receuil de pièces supposées, et de misérables satires que les libraires hollandais n'impriment que trop souvent, et qui sont méprisées de tout le monde. Vous seul avez tous les ouvrages que j'ay jusqu'icy donnez au public, et tout ce qui n'est pas chez vous, et qui est imprimé ailleurs n'est point de moy. C'est une déclaration que vous devez faire pour mon honneur et pour votre profit.
Vous me mandez que dans un an vous pourez entreprendre une édition nouvelle. A la bonne heure, je vous aideray dans cette entreprise, comme je vous ay aidé dans celle cy, et j'auray probablement de quoy vous fournir un volume nouvau, et des augmentations pour les autres. L'errata que je vous ay envoyé et que je continueray servira à rendre plus correcte votre édition nouvelle. La préface de M. des Mollars, qui est très ample et très curieuse, sera à la tête. Cela ne vous empêchera peutêtre pas de donner la tragédie de Semiramis séparément avec une dissertation assez intéressante que j'adresse en français et en italien à m. le cardinal Quirini. Mais ce ne poura être que vers le mois de janvier, et peutêtre même en février, car il vaut bien mieux donner ses ouvrages un peu tard, que de trop se presser.
Je vous prie de m'envoyer six exemplaires complets, de votre édition, et vingt quatre exemplaires de Charles douze, vingt quatre des éléments de Neuton, à cette adresse par les voitures publiques:
A Mr Alliot conseiller aulique; pour
Sa majesté le Roy de Pologne Stanislas
duc de Lorraine à Lunéville par Strasbourg.
Les voitures publiques de Leipsik à Francfort et à Strasbourg se chargent de ces envois. Je payerai les frais du transport, et vos exemplaires, étant d'ailleurs entièrement à vous.
Voltaire