1752-03-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Georg Conrad Walther.

J'ay vu mon cher ami Walther dans les gazettes que le libraire Chastelain d'Amsterdam se propose de débiter le siècle de Louis 14.
J'ignore s'il l'imprime, ou s'il se charge d'une partie de votre édition. S'il n'a intention que de la contrefaire, vous pourez aisément parer ce coup, en vous défaisant à la foire de Leipsik de tous vos exemplaires, et annonçant immédiatement après une nouvelle édition baucoup plus ample et plus correcte que je vous fourniray.

Vous m'avez fait sans doute le plaisir que je vous ay demandé de n'envoyer aucun exemplaire en Angleterre. Vous savez que je me suis réservé le droit d'en faire passer un petit nombre dans ce pays. Ils y sont actuellement.

Vous pourez aisément en envoyer à Strasbourg, et je ne doute pas qu'à la foire de Leipsik vous n'ayez tout vendu.

Je vous ay envoyé la plus grande partie du dernier tome de L'édition en sept volumes, et je travaille de temps en temps à L'errata, et aux cartons nécessaires. Cette besogne qui est très pénible est fort avancée.

On m'a envoyé de Paris un manuscript dont vous pouriez tirer un grand party, c'est une traduction de Virgile avec des notes. C'est assurément la meilleure traduction qu'on ait jamais faitte de cet auteur, mais elle n'est pas achevée, il y a des lacunes à remplir, des fautes à corriger, des notes à réformer et à ajouter. Je me chargeray encor de cet ouvrage laborieux. Envoyez moy les 4 tomes du Virgile de l'abbé des Fontaines, avec un Virgile variorum. Ce sera une édition d'un très grand débit et un bon fonds de magazin pour vous. Ce ne sont pas là des ouvrages de mode. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.

Mrde Francheville m'envoye votre lettre. J'ay sur le champ fait demander le livre chez le libraire Nicolaï. Il est faux que L'édition soit achevée. Mais ce Nicolaï y fait travailler jour et nuit deux étudiants, et imprime à mesure. Son ouvrage sera détestable. Mr Stieven travaille pour vous depuis deux mois à Brunswik. Vous avez un privilège de l'empereur. Il est impossible d'obtenir icy un privilège quand le livre apartient à l'étranger. Mr de Francheville en aurait eu un s'il ne s'était pas défait de L'édition avec vous. Mais à présent qu'on sait que vous en êtes le maître la chose est devenue impraticable. Pressez mr Stieven, annoncez votre traduction comme la seule bonne, et la seule faitte selon mes intentions et comptez que vous gagnerez sur le français, et sur l'allemand. Défaittes vous de votre édition française le plus tôt que vous pourez, quand vous n'y gagneriez que sept à huit cent écus, et faittes en une belle avec les additions, et changements qui sont prêts. Comptez que je me feray toujours le plus grand plaisir de vous prouver mon amitié.

V.